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Chasse aux virus à l’aide de la technologie nucléaire en Sierra Leone

Laura Gil

Capture de chauves-souris dans la jungle, en Sierra Leone.

(Photo : L. Gil/AIEA)

L’animal dort la tête en bas, sort la nuit et peut transmettre la fièvre Ebola. Quel est cet animal ? La chauve-souris. Après avoir affronté la flambée de fièvre Ebola qui a ravagé leur pays en 2014, des vétérinaires sierra-léonais ont appris à des pairs venus d’autres pays africains à capturer des chauves‑souris pouvant transmettre des virus, à prélever des échantillons et à établir des diagnostics à l’aide de techniques dérivées du nucléaire.

« Nous avons souffert de l’épidémie, malheureusement », déclare Dickson Kargbo, un vétérinaire local ; équipé d’un filet, d’une lampe frontale allumée et vêtu d’une tenue de chirurgien bleue, il se fraie un passage dans les profondeurs de la jungle à la nuit tombante, suivi de plusieurs autres vétérinaires. « Mais l’aspect positif, c’est que nous avons maintenant la technologie, l’expérience et beaucoup de choses à partager », poursuit-il.

Avec l’appui de l’AIEA et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), des vétérinaires et des spécialistes de la faune et de la flore en Sierra Leone et dans d’autres pays africains ont appris à surveiller les maladies à l’aide des techniques dérivées du nucléaire et d’autres méthodes (voir la PCR et ELISA) et à comprendre le comportement des chauves-souris afin de les capturer et de prélever des échantillons en appliquant les bonnes mesures de sécurité biologique.

« L’idée est qu’ils acquièrent une expérience pratique et les connaissances scientifiques appropriées pour pouvoir capturer des chauves-souris vivant en liberté et les examiner sans les tuer, afin de pouvoir les relâcher ensuite dans la nature », explique Hermann Unger, administrateur technique à la Division mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture. « Tout au long du processus, il faut se protéger et protéger l’animal », précise-t-il.

Dans la jungle

Les chauves-souris peuvent être porteuses de nombreux virus, dont le virus Ebola. (Photo : L. Gil/AIEA)

Pour que la surveillance exercée soit rigoureuse, les scientifiques étudient les espèces de chauve‑souris dans leur habitat naturel sauvage. Ils se salissent donc les mains, au propre comme au figuré.

« Ce n’est pas simple. Pour diagnostiquer et identifier un virus, il faut un échantillon de bonne qualité, correctement prélevé et transporté », explique Hermann Unger. « Afin de capturer une chauve-souris, une équipe d’au moins six personnes doit aller dans la jungle durant la journée, poser des pièges avec des poteaux et des filets et attendre jusqu’à la nuit tombée que les premières chauves-souris apparaissent. »

L’idée est de perturber aussi peu que possible l’écosystème. Les chauves-souris étant des mammifères nocturnes, les chasseurs de virus travaillent la nuit, de sorte à respecter leur rythme.

« Les chauves-souris sortent la nuit, donc c’est à ce moment-là que nous pouvons les capturer. Nous les attrapons et les relâchons dans la nature », déclare Temidayo Adeyanju, chercheur nigérian spécialiste de la faune et de la flore et enseignant lors de cours appuyés par la Division mixte FAO/AIEA, au cours desquels les participants apprennent différentes méthodes pour capturer des chauves-souris en fonction de leur espèce et de leur habitat.

Après avoir capturé les chauves-souris, les vétérinaires, les gardes forestiers et les spécialistes de la faune et de la flore retournent au laboratoire. Là, ils identifient et mesurent les animaux et examinent des échantillons de leur sang, de leurs matières fécales et de leur salive afin de détecter les centaines de virus qu’ils peuvent transmettre aux autres animaux et aux hommes, notamment celui de la fièvre Ebola. À cette fin, ils utilisent des techniques dérivées du nucléaire et du matériel fourni gratuitement dans le cadre du programme de coopération technique de l’AIEA.

« Au Togo, nous n’osions même pas toucher les chauves-souris pour prélever des échantillons parce que nous n’avions pas les compétences. Mais maintenant que nous les avons, nous devrions les exploiter. Nous ne pouvons pas baisser la garde », déclare Komlan Adjabli, un zoologue travaillant à la Direction de l’élevage du Togo, qui a suivi en 2018 le deuxième d’une série de cours appuyés par la Division mixte FAO/AIEA.

« En dépit des préjugés dont elles font l’objet, les chauves-souris sont essentielles à l’écosystème », affirme Temidayo Adeyanju. « Ce sont des animaux étranges. Elles sortent la nuit, se nourrissent d’insectes ou de fruits et font peur aux gens. Mais éloignez-les, et toutes les autres espèces en pâtiront, car ce sont des éléments clés ».

Si elles jouent un rôle essentiel dans l’écosystème, les chauves-souris ne constituent pas moins une menace pour les êtres humains : on y détecte environ dix nouveaux virus chaque année, dont celui de la fièvre Ebola, qui peut se transmettre par contact avec le sang, les sécrétions, les fluides ou les organes de chauves-souris infectées.

« Les gens ont peur de la fièvre Ebola », dit Hawa Walker, spécialiste de la préservation originaire du Libéria, pays voisin de la Sierra Leone qui a également souffert de l’épidémie de 2014. « Ils sont obsédés par la propreté de leurs mains et de leurs maisons. Mais dans de nombreux foyers, on mange encore des chauves-souris. C’est un moyen de subsistance pour ceux qui n’ont pas le choix .»

Les cours organisés avec l’appui de la Division mixte FAO/AIEA font partie des initiatives visant à ce que les vétérinaires et les spécialistes de la faune et de la flore africains unissent leurs forces et anticipent, voire préviennent, les épidémies dans la région, grâce à une surveillance active des maladies.

« Il faut adopter une approche holistique de la santé », déclare Michel Warnau, responsable de projet à l’AIEA qui supervise la formation en Sierra Leone. « Le manque de préparation est l’un des problèmes qui se sont posés pendant l’épidémie de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest. Avec ces cours, nous voulons créer des capacités d’étudier et de diagnostiquer les zoonoses chez les animaux d’élevage et les animaux sauvages avant une flambée épidémique, de façon à mieux anticiper les risques pour les populations humaines. »

06/2020
Vol. 61-2

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