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Petits réacteurs, grand potentiel

Irena Chatzis

La centrale Aurora, modèle avancé de centrale à fission. (Photo : Oklo)

Le mot « électronucléaire » évoque généralement des centrales et des tours de refroidissement imposantes, mais avec l’arrivée sur le marché de petits réacteurs modulaires (PRM) et de microréacteurs (MR), l’image et le développement de l’électronucléaire sont en passe de changer.

« Comme les grands réacteurs nucléaires, les PRM et les MR permettent de produire de l’énergie à faible émission de carbone, mais ces réacteurs étant plus petits, plus modulables et plus abordables, ils peuvent être associés à des réseaux électriques de moins grande envergure et construits dans des endroits difficiles d’accès, où l’implantation d’un grand réacteur serait compliquée », explique Frederik Reitsma, Chef d’équipe chargé de la technologie des PRM à l’AIEA. « Ces réacteurs sont souvent conçus pour assurer des services non électriques parallèlement à la production d’électricité, ce qui accroît leur intérêt du point de vue de la production d’une énergie propre, mais aussi leur rentabilité. »

Les nouvelles applications de la fission et l’apparition de centrales plus petites en divers endroits peuvent favoriser le développement humain tout en préservant le plus possible les ressources.
Caroline Cochran, Directrice des opérations d’Oklo (États-Unis)

Les PRM sont censés produire jusqu’à 300 mégawatts électriques (MWe) et les MR jusqu’à 10 MWe, selon les modèles. Outre leur modularité, ils ont pour caractéristiques communes d’être dotés de systèmes passifs et intégrés qui renforcent la sûreté, de pouvoir générer efficacement de l’énergie en s’adaptant aux fluctuations de la demande, et de bénéficier d’une conception simplifiée, de sorte qu’ils sont plus rapides et plus simples à construire que les réacteurs actuels. En outre, comme ils peuvent en grande partie être préfabriqués en usine, leur construction sur site prend moins de temps et il est plus facile et plus rentable de les reproduire ailleurs.

« La construction d’un grand réacteur nucléaire est une vaste entreprise, qui nécessite de gros investissements sur le long terme, ce qui est possible et approprié dans certaines situations. Dans d’autre cas, cependant, les PRM et les MR représentent une solution à la fois plus réaliste et plus rapide à mettre en œuvre. Ils sont parfois le seul moyen de produire de l’énergie d’origine nucléaire de façon économique », ajoute M. Reitsma. « Quand ces avantages sont associés à des politiques de financement et de marché efficaces, l’électronucléaire devient accessible à tout un ensemble de nouveaux utilisateurs et il gagne en compétitivité ainsi qu’en attractivité sur le marché de l’énergie. » Pour en savoir plus sur les politiques de financement et du marché de l’électronucléaire, consultez cet article.

Une première dans le monde des PRM

Le premier PRM avancé du monde a été couplé au réseau en 2019 et son exploitation commerciale a débuté en mai 2020.

Aux abords de la côte arctique de la Russie, la centrale nucléaire flottante Akademik Lomonosov abrite deux PRM KLT40S de 35 MWe qui génèrent aujourd’hui suffisamment d’énergie pour alimenter une ville d’environ 100 000 habitants. Cette centrale, qui a par ailleurs une capacité calorifique de 50 gigacalories par heure, sert au dessalement de l’eau de mer et permet de produire jusqu’à 240 000 mètres cubes d’eau potable par jour.

« Grâce aux petits réacteurs nucléaires, l’Arctique pourrait parvenir à la neutralité carbone dès 2040 », explique Anton Moskvin, Vice-président chargé de la promotion et du développement commercial à Rusatom Overseas. « Akademik Lomonosov remplacera une centrale à lignite et, en plus de contribuer à l’élimination d’émissions nocives dans l’écosystème de l’Arctique, elle garantira lumière et chauffage aux habitants de cette région exposée au froid intense du grand Nord. »

Les autres PRM dont la construction est la plus aboutie sont le réacteur CAREM de 30 MWe de l’Argentine et le HTR–PM de 210 MWe de la Chine. La procédure réglementaire est également en bonne voie pour plusieurs autres réacteurs de ce type, notamment le PRM de Nuscale Power aux États-Unis et plusieurs autres au Canada. Au total, plus de 70 modèles de PRM en sont à divers stades d’élaboration dans le monde.

L’AIEA mène plusieurs activités qui visent à appuyer la recherche-développement sur les PRM au niveau mondial. Elle facilite la coopération dans les domaines de leur conception, de leur mise au point et de leur déploiement et joue un rôle central dans le partage de connaissances et de données d’expérience sur leur réglementation.

Micro-centrales

Si les modèles de PRM sont généralement inspirés de systèmes de réacteurs bien connus, les MR semblent plutôt sortir d’un film de science-fiction. Ils sont suffisamment petits pour qu’une centrale tout entière puisse être construite en usine puis transportée par camion. Équipés de systèmes de sûreté passive auto-régulés, ils n’ont besoin que de quelques opérateurs pour fonctionner. Comme ils sont indépendants du réseau électrique, ils peuvent être déplacés et réinstallés ailleurs. Ils peuvent produire jusqu’à 10 MWe d’électricité, ce qui correspond à peu près à la consommation de plus de 5 000 foyers 24 heures sur 24, tous les jours, pendant au moins 10 ans.

Compacts et mobiles, ces réacteurs peuvent servir de systèmes d’alimentation de secours pour des établissements comme les hôpitaux ou remplacer des groupes électrogènes fonctionnant souvent au gazole qui constituent la seule source d’électricité pour des communautés isolées ou des sites industriels ou miniers.

Plus d’une douzaine de MR sont actuellement mis au point dans le monde par des entreprises du secteur privé et des groupes de recherche.

D’une capacité de 1,5 MWe, le réacteur à spectre rapide Aurora mis au point par Oklo, jeune entreprise située aux États-Unis, sera déployé prochainement, une fois achevées les procédures réglementaires. Il a été conçu pour fonctionner et s’auto-réguler principalement au moyen de phénomènes physiques naturels et comporte par conséquent très peu de pièces mobiles, ce qui en accroît la sûreté. De plus, il doit pouvoir fonctionner pendant des décennies sans être rechargé en combustible (de l’uranium faiblement enrichi à forte teneur).

« La réaction de fission peut se prêter à de nombreuses configurations : petits ou grands modèles, faisant appel à différents types de combustibles ou de systèmes de refroidissement, et elle peut créer les conditions favorables à une très grande variété de modèles économiques et de relations avec les collectivités, y compris en ce qui concerne leur acceptabilité », explique Caroline Cochran, Directrice des opérations d’Oklo. « Les nouvelles applications de la fission et l’apparition de centrales plus petites en divers endroits peuvent favoriser le développement humain tout en préservant le plus possible les ressources. »

Parmi les autres MR parvenus à un stade avancé, un réacteur de 4 MWe mis au point par U-Battery, entreprise du groupe URENCO située au Royaume-Uni, devrait entrer en service en 2028.

Déploiement à grande échelle

Malgré les progrès enregistrés, les PRM et les MR ne sont pas près d’être déployés à grande échelle.

« C’est l’histoire de l’œuf et de la poule, explique M. Reitsma. D’une part, on a besoin d’un marché et d’une demande assurés pour amener les investisseurs à financer la mise au point et le déploiement des PRM, mais de l’autre, ce marché ne pourra s’établir solidement que si des fonds sont investis dans leur mise au point et leur démonstration, voire dans la recherche à mener ou dans les installations expérimentales que l’on pourra être amené à construire avant l’attribution d’une licence. Les investisseurs potentiels hésitent à investir dans de nouvelles technologies s’ils ne connaissent pas bien les risques du marché. »

La difficulté d’appliquer des réglementations à un ensemble très hétéroclite de modèles de PRM et de MR constitue l’un des autres grands obstacles à leur déploiement. Étant donné la diversité des combinaisons de structures, de systèmes et de composants, les approches réglementaires standard, qui ont été définies pour des centrales nucléaires traditionnelles, doivent être réexaminées puis ajustées si l’on souhaite garantir un niveau de sûreté adéquat. Pour en savoir plus sur les procédures réglementaires concernant les PRM, consultez cet article.

« Au stade actuel, de nombreux PRM avancés uniques en leur genre sont en cours d’examen réglementaire et, quand celui-ci sera achevé, on peut encore compter quatre à cinq ans avant qu’ils ne soient construits et mis en service », estime M. Reitsma. « Néanmoins, les PRM et les MR suscitant un intérêt croissant, on peut espérer que cette durée se réduira à mesure que les processus de déploiement gagneront en rapidité, en rentabilité et en simplicité. »

09/2020
Vol. 61-3

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