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La sécurité nucléaire vue par les coprésidents d’ICONS 2024

Tim Watts (Ministre adjoint des affaires étrangères de l’Australie) et Sungat Yessimkhanov (Vice-Ministre de l’énergie de la République du Kazakhstan) sont les coprésidents de la Conférence internationale sur la sécurité nucléaire : « Façonner l’avenir » (ICONS 2024). 

Cette conférence est devenue un événement incontournable pour la communauté mondiale de la sécurité nucléaire. Elle permet aux ministres, aux décideurs, aux hauts responsables et aux experts en sécurité nucléaire de se réunir pour discuter de l’avenir de la sécurité nucléaire dans le monde, et facilite la mise en commun d’informations et des meilleures pratiques ainsi que la promotion de la coopération internationale.

Les coprésidents nous font part de leurs points de vue sur l’importance de la conférence, la contribution de la sécurité nucléaire au développement durable et la manière dont l’avenir sera façonné par les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle (IA) et par les risques et menaces émergents dans le domaine de la sécurité nucléaire.

Question : Pourquoi la participation à ICONS 2024 au niveau ministériel est-elle importante selon vous ?

Tim Watts : Jamais la nécessité de disposer d’un système de sécurité nucléaire robuste et durable n’a été aussi grande. En Australie, la science et la technologie nucléaires sont utilisées en médecine, dans la recherche et dans l’industrie. Pour relever les défis et faire face aux incertitudes susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité nucléaire, il faut une impulsion au niveau ministériel forte qui s’appuie sur des expériences et des perspectives variées, les approches actuelles et une meilleure compréhension de la technologie.

Pour la communauté mondiale de la sécurité nucléaire, la conférence est un événement incontournable. La participation de ministres est indispensable pour démontrer notre engagement collectif à renforcer la sécurité nucléaire au niveau mondial. Elle donne aux pays l’occasion de faire progresser des engagements et des priorités harmonisés et de travailler en étroite collaboration sur leurs régimes nationaux de sécurité nucléaire.

Les quatre dernières années ont été marquées par des changements importants dans le domaine de la sécurité nucléaire. S’il est un moment où la présence des ministres est importante et où leur engagement doit être ferme, c’est bien aujourd’hui.

Sungat Yessimkhanov : Pour la communauté mondiale de la sécurité nucléaire, ICONS 2024 est un événement majeur qui arrive à un moment crucial en ce qui concerne la sécurité nucléaire à l’échelle internationale. Malgré des risques et défis indéniables – des changements climatiques et catastrophes naturelles aux pandémies mondiales – les produits fondés sur l’IA et les technologies informatiques avancées offrent de nouvelles possibilités de renforcer les régimes de sécurité nucléaire.

Étant donné que la responsabilité de la sécurité nucléaire incombe entièrement aux États, ICONS 2024 offre une occasion unique de réaffirmer, au niveau ministériel, l’engagement des États à promouvoir l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et à remplir toutes leurs obligations internationales dans le domaine de la sécurité nucléaire.

Question : Quels changements souhaiteriez-vous voir intervenir en matière de sécurité nucléaire et que faut-il pour les concrétiser ?

Tim Watts : La science et la technologie nucléaires peuvent considérablement améliorer la vie des populations. Leur évolution nous permet de relever certains des défis les plus pressants de notre époque, notamment ceux liés à la santé et au bien-être, ainsi qu’à la sécurité alimentaire.

En tant que premier producteur mondial d’appareils de médecine nucléaire utilisés pour le diagnostic et le traitement du cancer et d’autres maladies, l’Australie est consciente que la sécurité nucléaire joue un rôle important dans la facilitation des utilisations pacifiques de la technologie nucléaire. En moyenne, chaque Australien devra subir au moins deux interventions de médecine nucléaire au cours de sa vie.

Alors que le monde entier continue à tirer parti de la science et de la technologie nucléaires, nous devons veiller à ce que les normes de sécurité nucléaire soient respectées afin d’empêcher l’exploitation de cette technologie à des fins néfastes.

Il est essentiel de renforcer la résilience de tous les pays en mettant en commun diverses données d’expérience et connaissances. Tous les pays peuvent contribuer à la création et au maintien d’un système mondial de sécurité nucléaire durable et résistant.

Nous nous félicitons du nombre croissant d’activités de formation proposées par l’Agence. Un accès équitable aux connaissances et aux ressources est essentiel pour anticiper l’avenir, mieux se protéger contre les menaces et tirer parti des possibilités d’action. Les principes qui sous-tendent l’accès équitable sont déterminants dans la collaboration de l’Australie avec ses partenaires régionaux en matière de sécurité nucléaire.

ICONS 2024 a pour thème : « Façonner l’avenir ». En veillant à ce que tous les pays aient la capacité de pérenniser leur architecture de sécurité nucléaire, on renforce également la contribution et la souveraineté de ces pays dans le cadre des discussions tenues à l’échelle mondiale. Ces progrès conduisent à des engagements collectifs aux niveaux national et international qui visent à renforcer les normes de sécurité nucléaire, ce qui est dans l’intérêt de tous.

Sungat Yessimkhanov : En sécurisant son ancien site d’essais de Semipalatinsk (la plus grande installation d’essais d’armes nucléaires du pays), le Kazakhstan a acquis une expérience unique. Les spécialistes du Centre nucléaire national de la République du Kazakhstan (CNN) ont effectué toute une série de travaux divers dans cette installation afin de renforcer les mesures de sécurité et d’installer des barrières de sécurité physiques pour empêcher l’accès aux sites d’essais, aux puits et aux tunnels déclassés.

L’amélioration de la sécurité nucléaire est une tâche cruciale qui repose sur la collaboration de multiples parties prenantes, notamment les pouvoirs publics, les organisations internationales, l’industrie nucléaire et le grand public. Pour veiller à la robustesse de la sécurité nucléaire, il convient de toujours tenir compte de plusieurs éléments clés, notamment le développement des capacités du personnel et le renforcement de la réglementation et du contrôle d’une part et de la coopération internationale d’autre part.

Le renforcement de la coopération et du partage d’informations entre les pays contribue à prévenir le trafic illicite de matières et de technologies nucléaires. Les accords internationaux tels que le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la Convention sur la protection physique des matières nucléaires et son amendement, la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, le Code de conduite sur la sûreté et la sécurité des sources radioactives et les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU jouent un rôle crucial à cet égard.

L’investissement dans la recherche-développement (R-D) concernant des technologies avancées dans le domaine de la sécurité nucléaire (amélioration des méthodes de détection des matières nucléaires et des systèmes de surveillance et mesures de cybersécurité robustes) peut permettre de renforcer le dispositif de sécurité global. D’autre part, avec l’évolution technologique, la sécurité nucléaire peut être remise en cause par de nouvelles menaces comme les cyberattaques ou l’utilisation de drones à des fins malveillantes. Pour faire face à ces menaces en constante évolution, les États doivent donc faire de la surveillance continue et de l’adaptation permanente des mesures de sécurité des priorités, et celles-ci doivent être soutenues par la communauté internationale.

Question : Comment les pays peuvent-ils préparer leurs régimes de sécurité nucléaire aux technologies émergentes comme l’IA ?

Tim Watts : Les événements internationaux comme ICONS jouent un rôle fondamental dans la création d’un environnement propice à la collaboration. Ils nous aident à adapter notre système de sécurité nucléaire pour tirer parti des technologies émergentes telles que l’IA et en réduire au minimum les effets néfastes. Pour protéger l’architecture de sécurité nucléaire contre les cyberactivités malveillantes, il nous faut définir des règles et des normes en matière d’IA.

La gestion de ces défis complexes et évolutifs nécessite des efforts à l’échelle mondiale. Grâce aux compétences spécialisées variées des participants à la conférence, parmi lesquels figurent des décideurs, des universitaires et des représentants du secteur privé et d’organisations non gouvernementales, il sera possible de créer un environnement dans lequel nous pourrons collaborer et répondre collectivement aux défis communs.

L’intégration de ces éléments fondamentaux aux cadres, aux politiques et aux initiatives des pays crée une base solide propice à la coopération et à la résilience internationales.

À ICONS 2024, les pays pourront montrer comment ils renforcent leurs capacités en vue d’intégrer les possibilités offertes par l’IA, lesquelles permettront d’agir de manière plus efficace, plus économique, plus efficiente et plus équitable. En outre, les meilleures pratiques des experts seront prises en compte dans les régimes nationaux de sécurité nucléaire des États Membres.

Sungat Yessimkhanov : Les pays devront adapter leurs mesures de sécurité nucléaire au fur et à mesure de l’évolution des technologies émergentes telles que l’IA afin d’atténuer les risques éventuels que ces technologies présentent et de tirer parti de leurs avantages.

Les gouvernements et les organismes concernés devraient procéder à des évaluations complètes des risques afin de recenser les éventuelles vulnérabilités et menaces susceptibles de découler de l’intégration de l’IA aux systèmes de sécurité nucléaire.

En effet, il est essentiel de bien comprendre ces risques si l’on veut élaborer des stratégies d’atténuation efficaces.

Il importe d’élaborer des cadres et des lignes directrices réglementaires en mettant à jour les réglementations existantes ou en créant des réglementations qui permettront de relever les défis uniques posés par les technologies de l’IA dans le domaine de la sécurité nucléaire. Les pays peuvent se protéger contre les cybermenaces et les cyberattaques en veillant à l’application de mesures de cybersécurité robustes, comme le cryptage, les contrôles d’accès et des mises à jour régulières de la sécurité.

Question : Quels sont les principaux risques et les principales menaces qui se font jour dans le domaine de la sécurité nucléaire dans le monde ?

Tim Watts : La communauté mondiale fait face à de nouveaux risques et à de nouvelles menaces dans le domaine de la sécurité nucléaire. Nos cadres et nos interventions en matière de sécurité nucléaire doivent eux aussi évoluer à mesure qu’évoluent ces risques et ces menaces.

ICONS 2024 sera l’occasion pour les pays de présenter la façon dont ils développent leurs capacités et leurs technologies pour faire face aux risques et aux menaces. La conférence facilitera les discussions visant à élaborer le Plan sur la sécurité nucléaire de l’Agence pour la période 2026-2029 afin de faire progresser les objectifs mondiaux en matière de sécurité nucléaire.

L’Australie travaille en étroite collaboration avec ses partenaires internationaux pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement. L’industrie est à la pointe de la R-D. Pour préserver la sécurité nucléaire, il est essentiel de veiller à ce que les principes qui s’y rapportent puissent être adoptés rapidement par l’industrie et les pouvoirs publics.

L’engagement de l’Australie en faveur du programme pour les femmes, la paix et la sécurité est inébranlable et pérenne. Compte tenu des dix résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU que de nombreux pays, dont l’Australie, ont adaptées à leur situation par l’intermédiaire de plans d’action nationaux et régionaux, nous savons que la diversité, l’équité et l’inclusion sont essentielles à l’établissement et au maintien de la paix et de la sécurité. Cela s’applique aussi à la sécurité nucléaire, pour laquelle l’entière et la véritable participation des femmes, en toute équité, et les compétences de ces dernières en matière de direction sont indispensables.

L’Australie est fière de collaborer avec le Kazakhstan en vue de l’organisation d’une manifestation parallèle en marge d’ICONS 2024, au cours de laquelle seront fournis des exemples pratiques et des orientations concrètes sur l’égalité des sexes et la direction inclusive en tant que forces motrices positives de l’avenir de la sécurité nucléaire.

Sungat Yessimkhanov : On ne peut nier que l’évolution rapide des nouvelles technologies telles que l’IA, l’informatique quantique et les systèmes sans équipage crée de nouveaux défis et révèle de nouvelles vulnérabilités en matière de sécurité nucléaire. Des acteurs malveillants peuvent cibler des infrastructures critiques telles que des centrales électriques ou des installations de recherche nucléaire pour perturber leur fonctionnement, voler des informations sensibles ou saboter des systèmes.

Face à la recrudescence constante de la désinformation, il convient d’accorder une attention particulière à la protection des matières qui ne sont pas hautement radioactives et ne se prêtent pas à la fabrication d’armes nucléaires, mais dont l’utilisation à des fins malveillantes pourrait avoir des répercussions négatives sur le public en provoquant une « radiophobie » et en sapant la confiance dans l’industrie nucléaire.

Les acteurs non étatiques, notamment les organisations terroristes, peuvent chercher à acquérir des matières ou des technologies nucléaires pour fabriquer des dispositifs nucléaires artisanaux ou des dispositifs de dispersion radiologique, également connus sous le nom de « bombes sales ».

La prolifération des matières et des technologies nucléaires par le biais de réseaux de trafic illicite reste un sujet de préoccupation. Les activités de trafic illicite peuvent impliquer la contrebande transfrontière de matières radioactives, de composants d’armes nucléaires ou de technologies nucléaires sensibles, ce qui pourrait permettre à des acteurs étatiques ou non étatiques d’acquérir des capacités nucléaires.

Les menaces internes, dont l’accès non autorisé par des employés ou des entreprises extérieures mal intentionnés, représentent un défi important en matière de sécurité nucléaire. Parmi ces menaces, il faut citer le vol, le sabotage ou les dommages aux matières, aux installations ou aux informations nucléaires.

Question : Comment la sécurité nucléaire peut-elle soutenir les initiatives de développement durable dans le monde dans les prochaines années ?

Tim Watts : La sécurité nucléaire sous-tend les initiatives de développement durable et permet leur mise en œuvre. Par exemple, l’irradiation des aliments permet aux pays d’exporter des produits alimentaires au-delà des frontières et de renforcer la sécurité sanitaire des aliments en éliminant les microbes et les organismes nuisibles. En outre, les appareils de radiothérapie utilisés dans le traitement du cancer sont essentiels aux initiatives telles que Rayons d’espoir qui visent à réduire les inégalités en matière de soins contre le cancer dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Ces utilisations pacifiques des rayonnements pour améliorer la sécurité alimentaire et soigner le cancer sont soutenues par des régimes de sécurité nucléaire solides et durables.

La sécurité nucléaire doit être intégrée dès le départ dans nos initiatives de développement durable et ne doit pas être une réflexion menée après coup ou un sujet sur lequel on se penche isolément en dehors de nos programmes de développement social et économique.

Il est temps que la sécurité nucléaire progresse et soit intégrée dans nos programmes.

Sungat Yessimkhanov : Premier pays exportateur mondial d’uranium (43 % de l’offre mondiale), le Kazakhstan joue un rôle crucial dans la production d’électricité décarbonée à l’échelle mondiale. La mise en place de régimes nationaux de sécurité nucléaire robustes garantira une chaîne d’énergie nucléaire pour l’humanité et favorisera la mise en œuvre d’initiatives de développement durable dans le monde entier.

Le Kazakhstan a contribué au régime de non-prolifération et au développement durable de l’énergie nucléaire en accueillant sur son territoire la banque d’uranium faiblement enrichi de l’AIEA, établissement unique en son genre. En outre, nous continuons à mettre en œuvre des projets de conversion de réacteurs de recherche visant à convertir le combustible d’uranium hautement enrichi en combustible d’uranium faiblement enrichi, ce qui contribue à réduire le risque de prolifération nucléaire. L’année dernière encore, nous avons achevé avec succès la conversion d’un autre réacteur de recherche au CNN, lequel fonctionne désormais entièrement avec du combustible faiblement enrichi.

Dans ce contexte, le renforcement des régimes nationaux de sécurité nucléaire contribue à prévenir le trafic illicite de matières nucléaires et radioactives, à accroître la confiance du public dans les utilisations pacifiques des technologies nucléaires et des technologies des rayonnements, et à promouvoir des stratégies durables de développement de l’énergie nucléaire dans le monde entier.

05/2024
Vol. 65-1

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