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Voir et tuer les cellules cancéreuses

Tiré du Bulletin de l’AIEA
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Résultat de la théranostique chez un patient de 82 ans atteint d’un cancer de la prostate propagé aux nœuds lymphatiques et aux os, du début du traitement (à gauche) à la rémission quasi totale (à droite).

(Photo : Université américaine du Centre médical de Beyrouth)

L’utilisation de molécules pour transporter des substances radioactives de manière sûre dans l’organisme permet aux médecins d’obtenir des images plus précises des tumeurs et d’éliminer les cellules cancéreuses plus efficacement. Cette méthode, qui combine les applications thérapeutique et diagnostique des radiopharmaceutiques, est appelée « théranostique ». C’est l’une des dernières innovations dans le domaine de la lutte contre le cancer et l’une des techniques que l’AIEA aide à rendre accessibles aux patients partout dans le monde en appuyant le transfert de technologie et le renforcement des capacités.

Mohamad Haidar, maître de conférences en radiologie clinique au Département de radiologie de l’Université américaine du Centre médical de Beyrouth (Liban), est convaincu que la théranostique a le potentiel de révolutionner le traitement du cancer. « C’est une technique très efficace qui permet de voir ce que l’on traite et de traiter ce que l’on voit, explique-t-il. Il en résulte une meilleure qualité de vie et une plus grande espérance de vie, et moins d’effets secondaires qu’avec les autres traitements, comme la chimiothérapie. »

Si la théranostique est utilisée depuis plus de 70 ans pour traiter quelques maladies, comme le cancer de la thyroïde, c’est seulement au cours des dernières dizaines d’années que son utilisation s’est répandue. Les progrès dans le domaine de la médecine et les avancées technologiques ont conduit à la mise au point de nouveaux radiopharmaceutiques et de nouveaux équipements médicaux, ouvrant la voie à l’utilisation de la théranostique dans la lutte contre les cancers de la prostate, du foie, du système gastro-intestinal et du système nerveux, entre autres. Le radiopharmaceutique appelé « lutétium 177 (177Lu)-DOTATATE », par exemple, est utilisé dans le traitement des tumeurs neuroendocrines.

Bien qu’elle permette d’améliorer la guérison des patients, la théranostique n’est pas encore disponible à grande échelle, car elle requiert des compétences et des installations différentes de celles dont on dispose pour d’autres types de traitements, comme la radiothérapie, la chimiothérapie et la chirurgie.

« L’AIEA aide des pays dans le monde entier à mettre en place des installations, à développer leurs capacités en médecine nucléaire et en radiothérapie par la formation et, une fois prêts, à appliquer en toute sûreté des techniques de médecine personnalisée et des techniques avancées, comme la théranostique et la radiothérapie stéréotaxique corps entier (RSCE) », se félicite May Abdel-Wahab, directrice de la Division de la santé humaine de l’AIEA.

Comment fonctionne la théranostique

Par certains aspects, le principe de la théranostique est le même que celui à l’œuvre avec certains médicaments, à savoir l’interaction avec des protéines (récepteurs) situées sur les parois cellulaires. Les récepteurs peuvent se lier à des molécules extérieures (hormones, médicaments, etc.) qui les activent et émettent un signal biochimique ou électrique qui indique à la cellule ce qu’elle doit faire (arrêter de produire les substances qui signalent la douleur au cerveau, par exemple).

Des molécules différentes sont attirées par des types de récepteur différents. Lorsque l’on sait quelle molécule se fixe sur quel récepteur, on peut mettre au point des médicaments qui lient la bonne molécule à un inhibiteur de douleur, par exemple, pour que celle-ci transporte l’inhibiteur jusqu’au bon récepteur, pour faire cesser un mal de tête, par exemple.

Il en va de même avec les radiopharmaceutiques : les substances radioactives se lient à des molécules sélectionnées en fonction de la manière dont elles interagissent avec l’organisme dans le cas de certains cancers. Ces molécules transportent ensuite les radiopharmaceutiques jusqu’à la tumeur cible, permettant d’établir une image diagnostique ou de traiter la tumeur. Comme les cellules saines n’ont pas les mêmes récepteurs que les cellules cibles, les radiopharmaceutiques les ignorent et ne les endommagent pas.

« En tenant compte des besoins spécifiques de chaque patient, la théranostique fait la transition entre la médecine traditionnelle d’une part et la médecine personnalisée et la médecine de précision d’autre part, le patient recevant ainsi le traitement le plus adapté », déclare Diana Paez, chef de la Section de la médecine nucléaire et de l’imagerie diagnostique de l’AIEA.

Voir, puis traiter

En imagerie diagnostique, un radiopharmaceutique contenant une petite quantité de substance radioactive est introduit dans l’organisme par injection, ingestion ou inhalation, et transporté jusqu’à la zone cible. Une fois le radiopharmaceutique concentré à l’intérieur ou autour des cellules cibles, l’infime rayonnement qu’il émet est scanné et détecté par une caméra spéciale, ce qui permet d’obtenir des images de la zone du corps ciblée.

Sur la base de ces images, les médecins déterminent le traitement le plus approprié pour le patient. S’ils optent pour la théranostique, ils sélectionnent un radiopharmaceutique et déterminent la quantité exacte de rayonnement nécessaire - la dose dépend du type et de la taille de la tumeur, de l’âge et du sexe du patient, de la gravité du cancer et de l’organe ciblé. Une fois que le radiopharmaceutique est concentré à l’intérieur ou autour des cellules cancéreuses, le rayonnement qu’il émet endommage et tue ces dernières, tandis que les cellules saines environnantes ne subissent pas de dommages majeurs. Le traitement s’étale généralement sur plusieurs sessions et des images diagnostiques supplémentaires sont réalisées pour en suivre le résultat.

« Nous avons vu des patients réagir à la théranostique d’une manière inconcevable avec d’autres traitements », affirme Mohamad Haidar. Avec son équipe de 15 spécialistes, il ne peut actuellement faire bénéficier d’un traitement que quelques patients par an au Liban, mais il a déjà obtenu des résultats notables.

Il cite le cas d’un patient de 82 ans atteint d’un cancer de la prostate propagé aux nœuds lymphatiques et aux os. « Nous avons essayé plusieurs traitements sans succès, puis nous sommes tournés vers la théranostique, explique-t-il. Après avoir administré deux doses d’antigène membranaire prostatique spécifique (PSMA) marqué au lutétium 177, nous avons constaté une forte diminution du nombre de lésions tumorales, suivie d’une rémission quasi totale après l’administration d’une dose supplémentaire d’un autre radiopharmaceutique, l’actinium 255, également un PSMA. »

Il précise qu’il s’agit seulement de résultats préliminaires et qu’il reste beaucoup à faire pour bien comprendre l’impact et le champ d’application potentiel de la théranostique.
Son équipe et lui prévoient de continuer de collaborer avec l’AIEA pour faire avancer leurs travaux de recherche et renforcer leurs compétences et celles de tiers dans la région. Dans le cadre de son programme de coopération technique, l’AIEA a organisé des formations et fourni du matériel au Liban pour appuyer la mise en place de services de traitement du cancer dans le pays.

« À l’avenir, la théranostique pourrait aussi être utilisée dans le traitement du cancer du sein et du cancer du poumon, affirme Mohamad Haidar. Si nous parvenons à trouver une molécule qui fonctionne tout particulièrement pour ces cancers très communs, cela pourrait avoir d’énormes répercussions sur les taux de survie et la qualité de vie des patients. »

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