D’après Dessie Nedaw Habtemariam, professeur associé de l’Université d’Addis-Abeba (Éthiopie), la précision est primordiale dans les études hydrologiques à long terme, quel que soit le pays ou le climat auquel elles se rapportent, car une mauvaise estimation des réserves d’eau futures peut avoir des conséquences néfastes.
« Si nous surévaluons la vitesse de recharge des réserves d’eau, par exemple, et que nous transmettons les résultats de cette évaluation aux décideurs, ceux-ci pourraient adopter des politiques susceptibles d’aboutir à une situation où les eaux souterraines seraient prélevées plus vite qu’elles se ne rechargent », explique-t-il. Les eaux souterraines – c’est à dire les eaux contenues dans la couche de roche perméable située sous la surface terrestre – sont une des principales sources d’eau potable pour la majorité de la population éthiopienne. « Il s’ensuivrait une forte diminution des réserves d’eau souterraine disponibles, ce qui pourrait provoquer l’abandon de puits, voire des pénuries d’eau potable. »
À l’inverse, une sous-évaluation pourrait conduire à l’adoption de politiques plus strictes que nécessaire en matière d’eau ou influencer les décisions relatives au développement, notamment freiner l’expansion urbaine en raison du manque de ressources en eau.
Tricia Stadnyk, professeur associée en ingénierie hydraulique à l’Université du Manitoba (Canada), explique que, pour les études sur 100 ans ou plus, il a été très difficile d’obtenir des résultats précis avec les modèles de bilan hydrique ne reposant pas sur les isotopes. « De nombreux modèles proposent une très bonne simulation du débit des sources, des rivières et des autres masses d’eau mais sont très mauvais pour évaluer l’évapotranspiration, dit-elle, faisant référence au processus par lequel l’eau s’évapore depuis la surface de la terre et est transférée à l’atmosphère par la transpiration des végétaux. C’est extrêmement problématique pour les prévisions des changements climatiques, qui reposent fortement sur les données de l’évapotranspiration ».
Au fur et à mesure que les températures tendent vers des extrêmes sous l’effet des changements climatiques, le taux d’évapotranspiration augmente. Plus l’évapotranspiration est élevée, moins il y a d’eau à la surface de la terre, et inversement. Cela influence l’ensemble du cycle hydrologique annuel et peut conduire à des extrêmes imprévisibles : trop peu d’eau, synonyme de sécheresse, ou trop d’eau, d’inondation.
Aucun climat n’est à l’abri de ces changements. Tant le Canada, où plus de 60% de la masse terrestre est composée d’une forme de pergélisol - sol gelé - et où l’on dénombre quatre saisons distinctes, que l’Éthiopie, où la plupart du territoire connaît un climat tropical et où la température reste plus ou moins constante tout au long de l’année, peuvent être touchés.
Le modèle peut être ajusté de manière à tenir compte de ces conditions diverses, ce qui le rend universel. Les scientifiques de plusieurs pays collaborent avec l’AIEA pour apprendre à utiliser le modèle de bilan hydrique reposant sur les isotopes et d’autres modèles en vue d’améliorer la gestion des ressources en eau et pour recevoir un appui en la matière. En Éthiopie, par exemple, un projet de coopération technique de trois ans concernant l’étude du bassin supérieur de l’Awash - un vaste réservoir d’eau souterraine assurant l’approvisionnement en eau potable de plus de 2,6 millions de personnes - est en cours de lancement. D’autres pays, comme le Canada, établissent ou ont établi des réseaux d’échantillonnage des isotopes en vue d’obtenir des résultats plus précis avec des modèles comme celui de l’AIEA.