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Les techniques isotopiques permettent à des agriculteurs béninois de tripler le rendement de leurs cultures et d’améliorer leurs conditions de vie

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L’agriculteur Léonard Djegui, qui cultive du soja dans la région centrale du Bénin, a vu ses revenus tripler grâce aux cultures intercalaires et à l’optimisation de l’utilisation d’engrais. Des expériences faisant appel à une technique isotopique menées par des chercheurs ont permis de l’aider à mettre en place ces nouvelles pratiques agricoles (Photo : M. Gaspar/AIEA)

Atinkpaye, Dassa-Zoumé (Bénin) -- Léonard Djegui, cultivateur de soja, n’a pas eu la chance d’aller à l’école, mais il a appris deux choses sur la science nucléaire ces dernières années : ses terres sont constituées d’atomes, et ceux-ci lui ont permis de multiplier ses revenus par trois. Ainsi, il peut se faire construire une nouvelle maison et envoyer ses enfants à l’université.

Il n’est pas le seul dans ce cas : quelque 14 000 agriculteurs du centre et du nord du Bénin ont réussi à améliorer considérablement le rendement de leurs cultures de maïs et de légumineuses, comme le soja. Ils ont donc plus de nourriture pour leur famille et des revenus bien plus élevés que ceux dont ils auraient pu rêver quelques années plus tôt.

« Je ne suis jamais allé à l’école mais je sais que la science est importante », confie Léonard Djegui, fier de montrer sa nouvelle maison de briques, qui remplace son ancienne hutte de terre. « Grâce à elle, mon maïs et mon soja poussent mieux et la récolte est plus abondante », explique-t-il.

Léonard Djegui inspecte le chantier de sa nouvelle maison. Les revenus supplémentaires qu’il tire de ses cultures depuis l’application des expériences faisant appel à des techniques isotopiques lui ont permis de remplacer sa hutte de terre. (Photo : M. Gaspar/AIEA)

Le secret réside dans l’utilisation de techniques isotopiques et dérivées du nucléaire pour mesurer et augmenter de manière adéquate la quantité d’azote, élément nécessaire à la croissance des plantes, absorbée par les cultures (voir Absorpion de l’azote de l’air). « Les légumineuses, comme le soja ou l’arachide, sont capables de prélever l’azote de l’air et de le transférer dans le sol, rendant les terres plus fertiles pour le maïs qui sera cultivé la saison suivante », explique Pascal Houngnandan, vice-président de l’Université nationale d’agriculture et directeur de la microbiologie du sol à l’Université d’Abomey-Calavi, principal établissement de recherche du pays, situé juste à la périphérie de la capitale, Cotonou. Les cultures intercalaires de maïs et de légumineuses permettent d’obtenir un rendement plus important de ces deux types de cultures. Selon le type de sols, elles permettent aux agriculteurs d’utiliser peu d’engrais commerciaux, voire de s’en passer complètement, et donc de réaliser une économie.

En coopération avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’AIEA a soutenu le projet en fournissant des conseils spécialisés et en aidant Pascal Houngnandan et son équipe à interpréter les données recueillies. Dans le cadre de son programme de coopération technique, elle a aussi fourni le matériel et la formation nécessaires, qui ont permis aux chercheurs non seulement de mener des expériences mais aussi de produire les bactéries dont les légumineuses ont besoin pour absorber plus d’azote de l’air.

« Des scientifiques de 70 pays bénéficient d’une aide de ce type, notamment d’un appui visant à adapter la méthode aux cultures et aux types de sols spécifiques à leur pays », indique Joseph Adu‑Gyamfi, spécialiste de la gestion de la fertilité des sols à la Division mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture.

Mélanger les semences et les bactéries

En cet après-midi de fin juin, au début de la saison des semences, Léonard Djegui et ses voisins sont affairés à mélanger les bactéries reçues du laboratoire avec les graines de soja qui vont être plantées dans les semaines à venir. Pendant ce temps, d’autres travailleurs agricoles de ce village de mille habitants désherbent les friches environnantes pour pouvoir faire pousser plus de soja.

Albert Ahotondji, un voisin de Léonard Djegui, cultive aujourd’hui du soja sur six hectares de terrain, alors qu’il en cultivait sur deux hectares seulement il y a deux ans. Il n’avait alors pas assez d’argent pour acheter des semences et des engrais pour toutes ses terres, et une partie était laissée en jachère forcée. Il gagne maintenant suffisamment pour cultiver toutes ses terres et peut même mettre de l’argent de côté pour envoyer ses enfants à l’université. « Je pourrai leur payer une chambre en ville », déclare-t-il avec fierté.

C’est la quatrième saison consécutive que les petits agriculteurs du village utilisent des bactéries achetées à l’université par l’intermédiaire de vulgarisateurs agricoles, qui leur ont aussi montré comment améliorer leurs pratiques agricoles.

« Il y a 100 000 cultivateurs de soja au Bénin et l’utilisation de ces nouvelles techniques se répand rapidement », indique Fortuné Amonsou Biaou, directeur exécutif de l’Union nationale des producteurs de soja du Bénin. « Il est fréquent de voir les rendements tripler ou même quadrupler », poursuit-il. Selon les régions, les agriculteurs récoltaient auparavant entre 500 et 800 kilogrammes de soja par hectare. Ils en récoltent aujourd’hui entre 1,2 et 2 tonnes par hectare. Cette augmentation est particulièrement importante du fait que le Bénin est un pays essentiellement agricole : plus de la moitié de la population travaille dans le secteur agricole, qui représente 40 % de l’économie.

Le soja est utilisé pour produire de l’huile végétale et des aliments pour animaux. C’est aussi un produit d’exportation majeur sur les marchés régionaux. « L’augmentation du rendement de maïs permet d’améliorer la sécurité alimentaire pour les populations rurales, et une production de soja accrue va de pair avec une augmentation des revenus disponibles », explique Fortuné Amonsou Biaou.

Félix Kouelo Alladassi, professeur adjoint spécialiste de la préservation des sols et des ressources en eau à l’Université d’Abomey-Calavi, prépare des plants de soja dans le cadre d’une expérience faisant appel à des techniques isotopiques. (Photo : M. Gaspar/AIEA)

Pascal Houngnandan a fondé le laboratoire en 2002 pour étudier l’effet des cultures intercalaires sur les rendements. Les travaux sur l’utilisation de techniques isotopiques et les inoculums ont commencé quelques années plus tard, et les expériences in situ ont démarré en 2008. Quelques agriculteurs ont commencé à utiliser la technique dans le cadre d’un projet pilote en 2011, puis celle-ci a été mise en œuvre à grande échelle en 2013, quand l’association des cultivateurs et les autorités agricoles locales ont aidé à favoriser son utilisation. Au cours de la saison de culture 2016-2017, le laboratoire a produit 16 000 sacs d’inoculums bactériens sous forme d’engrais biologiques.

« Il nous a fallu du temps pour mettre en œuvre cette technique à grande échelle, mais aujourd’hui, les résultats sont probants », explique Pascal Houngnandan tout en montrant comment s’utilise le matériel fourni par l’AIEA. « J’espère que dans quelques années tous les agriculteurs auront recours à cette technique », conclut-il.

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