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La fusion sera prête quand la société en aura besoin

Michael Madsen

The ST40 tokamak, built and operated by private company Tokamak Energy. October 2020

Tokamak ST40 construit et exploité par la société privée Tokamak Energy. (Photo : Tokamak Energy)

« Même si la fusion n’arrive pas à temps pour contribuer aux objectifs fixés pour 2050, elle sera nécessaire dans la seconde moitié du siècle, quand la demande d’énergie sera encore plus importante. »

— Melanie Windridge, Directrice pour le Royaume-Uni de l’Association des industries de la fusion

Les scientifiques font valoir le potentiel de l’énergie de fusion depuis les années 1920 mais jusque très récemment, l’exploitation commerciale de la fusion est restée un rêve lointain. Pour mieux comprendre pourquoi, après des décennies de recherche, la fusion ne fait toujours pas partie du bouquet énergétique mondial et pourquoi cela est en passe de changer, nous avons rencontré Melanie Windridge, Directrice pour le Royaume-Uni de l’Association des industries de la fusion, consultante en communication auprès de Tokamak Energy et fondatrice de Fusion Energy Insights.

Q : Selon une vieille plaisanterie, on dit depuis bien longtemps que la technologie de la fusion nucléaire sera au point dans 30 ans. Qu’en est-il vraiment ?

R : Cette plaisanterie sur la fusion est bien connue mais un peu erronée, car en réalité les choses avancent. Aujourd’hui, les facteurs convergent pour accélérer les progrès dans le domaine de la fusion. Tous d’abord, la science a progressé et nous possédons maintenant de solides connaissances sur la physique des plasmas. Nous sommes parvenus à créer des réactions de fusion grâce à des concepts comme les tokamaks. Par ailleurs, de nouvelles technologies telles que le calcul intensif ont permis d’améliorer les simulations et la modélisation des plasmas. Grâce à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique, on a pu optimiser les opérations et on est aujourd’hui en mesure de mieux les contrôler. Enfin, les supraconducteurs à haute température permettent de créer des champs magnétiques bien plus forts, qui confinent les combustibles de fusion plus efficacement. Beaucoup plus puissants et efficaces, les lasers dont nous disposons aujourd’hui devraient donner un élan considérable à la fusion par confinement inertiel et les progrès des méthodes de fabrication pourraient contribuer à réduire le coût des expériences et des futures installations énergétiques.

 

D’autre part, les solutions climatiques suscitent aujourd’hui un intérêt bien plus vif auprès du public, et les gouvernements fixent des objectifs d’émissions nulles. Il existe maintenant un secteur privé de la fusion, qui a attiré à ce jour environ 2 milliards de dollars d’investissements. L’Association du secteur de la fusion compte aujourd’hui près de 25 membres et même les sociétés spécialisées dans le pétrole et le gaz commencent à s’intéresser à la fusion.

Q : Pour faire face au changement climatique, de nombreux pays entendent décarboner à grande échelle d’ici 2030 et visent la neutralité carbone d’ici 2050. La fusion arrivera-t-elle trop tard pour jouer un rôle dans cette transition ?

R : Le physicien russe Lev Artsimovich a dit un jour : « La fusion sera prête quand la société en aura besoin. » Je pense qu’il avait raison. Idéalement, nous aurions appris à maîtriser la fusion il y a 30 ans et serions aujourd’hui en mesure de déployer cette technologie à grande échelle. Mais dans le passé, les conditions n’étaient pas réunies et le monde n’avait ni les motivations ni les moyens d’y parvenir.

Même si la fusion n’arrive pas à temps pour contribuer aux objectifs fixés pour 2050, elle sera nécessaire dans la seconde moitié du siècle, quand la demande d’énergie sera encore plus importante. Il nous faut cependant redoubler d’efforts dès aujourd’hui si nous voulons que le réseau fournisse de l’électricité produite grâce à la fusion avant 2050.

Q : Quels sont, selon vous, les obstacles à la technologie et comment peuvent-ils être levés ?

R : Il y a différentes difficultés à surmonter, et ce à plusieurs niveaux. La première consiste à faire en sorte que la réaction de fusion produise plus d’énergie qu’elle n’en requiert, c’est-à-dire à atteindre ce qu’on appelle le « point d’équilibre ». Il nous faudra ensuite construire une centrale expérimentale capable de produire de l’électricité. Quand nous y serons parvenus, nous pourrons commencer à planifier le déploiement commercial de la fusion.

Entre l’atteinte du point d’équilibre et le lancement de la production d’électricité se dressent plusieurs obstacles techniques. Il nous faut, par exemple, trouver des moyens d’extraire l’énergie et de produire du combustible au tritium en plus grande quantité. D’autre part, l’environnement de la fusion nécessite l’emploi de matériaux bien spécifiques. Pour fonctionner, les aimants supraconducteurs ont besoin de températures extrêmement élevées et extrêmement basses, ainsi que de champs magnétiques puissants. Néanmoins, le principal problème vient des neutrons énergétiques, qui peuvent gravement endommager les matériaux. Il sera très probablement nécessaire de remplacer régulièrement certains composants des centrales, et la machine devra donc être conçue de telle manière qu’il soit possible de remplacer ces composants rapidement, facilement et à peu de frais.

Au-delà de la physique et de l’ingénierie, les spécialistes de la fusion doivent également dialoguer avec les gouvernements au sujet de la réglementation, et veiller à ce qu’il n’y ait pas d’obstacles aux autorisations quand nous serons prêts à construire des centrales. Enfin, il convient d’avoir l’adhésion du public et de faire en sorte que la population soit elle aussi associée au développement de la fusion. Il nous faut aborder toutes ces questions et commencer à en parler dès à présent. C’est d’ailleurs ce que nous faisons.

Q : Aujourd’hui, près de 800 millions de personnes ne disposent pas d’un accès fiable à l’électricité. La fusion nucléaire représente-t-elle une solution pour ces personnes et que fait la filière pour impliquer les pays en développement ?

R : Au départ, quand le projet international sur la fusion ITER a été imaginé, lors de la fameuse réunion au coin du feu de MM. Reagan et Gorbatchev, qui s’est tenue à Genève en 1985, les dirigeants ont déclaré souhaiter que la fusion bénéficie à l’ensemble de l’humanité. Cet objectif n’a pas changé. ITER prévoit un programme éducatif ouvert à tous les pays, qui permette de former les spécialistes de la fusion de demain. Il s’agit là d’un point important si l’on souhaite que la fusion soit déployée dans le monde entier.

La collaboration entre les secteurs public et privé qui commence déjà à se mettre en place devrait contribuer à réduire les coûts et à répartir les risques. Dans les pays en développement, cette coopération public-privé jouera un rôle particulièrement important et devra probablement être appuyée par une aide intergouvernementale.

Q : Les domaines de la physique et du nucléaire sont généralement dominés par les hommes. Que fait-on dans la filière de la fusion en vue d’un meilleur équilibre entre les sexes ?

R : Nous sommes depuis longtemps conscients du déséquilibre entre les sexes dans la physique et la fusion, et des initiatives ont été lancées pour remédier à ce problème, mais il s’agit d’un processus lent, qui s’étalera sur plusieurs générations.

Cela fait maintenant près de 20 ans que je participe à des initiatives visant à faire évoluer les mentalités à ce sujet. Certains grands laboratoires s’emploient activement à améliorer la situation en menant des programmes destinés à accroître la diversité et à mettre en place des réseaux favorisant l’inclusion. Pour les entreprises privées, qui sont souvent de taille modeste, il est plus difficile de remédier au problème.

Cependant, la question ne doit pas être abordée simplement du point de vue des laboratoires. Il revient à chacun d’entre nous d’agir à son niveau. J’ai récemment lancé le compte @womeninfusion sur Instagram afin de présenter des femmes qui travaillent dans ce domaine et d’encourager la nouvelle génération féminine à se lancer dans la physique.

05/2021
Vol. 62-2

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