You are here

Utilisation des techniques nucléaires pour déterminer la qualité protéique de l’alimentation des enfants dans le cadre de la lutte contre la malnutrition

Victor Owino

Sous l’effet de facteurs tels que les changements climatiques, les systèmes agroalimentaires mondiaux sont en proie à des mutations rapides, ce qui peut avoir des répercussions néfastes quant à la teneur nutritionnelle et à la disponibilité des aliments. Les faibles teneurs en nutriments essentiels, comme les protéines dans les principales cultures vivrières, sont l’une des conséquences des changements climatiques qui met en péril la sécurité nutritionnelle, en particulier chez les populations les plus vulnérables au monde, telles que les nourrissons et les enfants en bas âge.

L’Inde continue de subir le double fardeau de la malnutrition. Selon le Rapport sur la nutrition mondiale 2022, 35 % des enfants de moins de 5 ans souffrent d’un retard de croissance (étant trop petits pour leur âge) et 17 % sont émaciés (étant trop maigres pour leur taille).

L’Organisation mondiale de la Santé et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance recommandent que les bébés soient exclusivement allaités au sein jusqu’à l’âge de six mois et qu’ils ne consomment pas d’aliments ou de fluides autres que les médicaments prescrits.

Les enfants âgés de 6 à 23 mois sont ceux qui pâtissent le plus du manque de nutriments essentiels dans les aliments, car c’est à cet âge que l’on commence à consommer de nouveaux aliments en plus du lait maternel. En Inde, dans environ 80 % des cas, il s’agit de grains (céréales et légumineuses) et, dans moins de 20 % des cas, d’aliments d’origine animale tels que la viande, le poisson, la volaille et les œufs. Ces aliments d’origine végétale fournissent rarement le bon équilibre en nutriments, en particulier les acides aminés essentiels nécessaires à une croissance rapide et à un bon développement.

En renforçant les capacités à mesurer avec précision la qualité protéique des aliments pour nourrissons et enfants en bas âge, on peut obtenir des données factuelles et émettre de meilleures recommandations alimentaires en matière d’apports en protéines pour lutter contre la malnutrition. Il est particulièrement important de déterminer la qualité protéique des aliments d’origine végétale compte tenu de l’impact de la consommation des aliments d’origine animale sur l’environnement.

La qualité protéique est définie comme étant la proportion de protéines ou d’acides aminés ingérés, qui sont absorbés et utilisés par l’organisme. Il existe peu d’options pour mesurer la qualité des protéines chez les humains, car la méthode standard passe par la procédure invasive de l’intubation intestinale visant à prélever un échantillon de la nourriture ingérée alors que celle-ci est en cours de digestion dans l’intestin. L’échantillon est ensuite analysé pour déterminer la concentration d’acides aminés libres après une certaine période suivant un repas. En 2014, de nouvelles méthodes ont été recommandées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à la suite d’une consultation d’experts, notamment le recours à des techniques fondées sur l’utilisation des isotopes stables pour mesurer la qualité protéique sur la base d’un nouvel indice recommandé : le score de digestibilité des acides aminés essentiels (DIAAS). Parmi les méthodes recommandées figure la technique de double marquage isotopique qui a été mise au point, testée et optimisée dans le cadre d’un projet de recherche coordonnée soutenu par l’AIEA dans sept pays.

Une équipe de chercheurs de la St John’s National Academy of Health Sciences de Bangalore (Inde) a utilisé cette technique pour mesurer la digestion des protéines et des acides aminés essentiels contenus dans les aliments couramment utilisés dans l’alimentation des nourrissons, tels que le riz, l’éleusine cultivée et le haricot mungo. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus pour l’œuf de poule, qui contient une protéine très digeste souvent utilisée comme protéine de référence.

Les cultures ont d’abord été « arrosées » avec de l’oxyde de deutérium, dont les propriétés physiques et chimiques se rapprochent de celles de l’eau ordinaire, mais dont la densité est légèrement supérieure à celle-ci. Une fois récoltées, les cultures ont servi à préparer des repas-tests culturellement adaptés, auxquels a été ajouté un acide aminé standard marqué au carbone 13. Les repas-tests contenant deux isotopes (deutérium et carbone 13) ont été servis à des enfants âgés de 6 à 24 mois.

« La qualité des protéines est très importante pour la croissance et le développement de l’enfant », explique Nirupama Shivakumar, chercheuse principale et autrice à la St John’s National Academy of Health Sciences.

« La méthode du double marquage isotopique est la plus adaptée en ce qui concerne les enfants, car elle est peu invasive. Nous avons constaté que les protéines des œufs étaient plus faciles à digérer que celles provenant d’autres sources, ce qui n’est pas une surprise et réaffirme la qualité des protéines animales. Compte tenu de la lente amélioration des indicateurs nutritionnels concernant les enfants, l’intégration de protéines d’origine animale dans le régime alimentaire quotidien de l’enfant peut être bénéfique à sa croissance et à son développement, en particulier chez les populations qui souffrent d’insécurité alimentaire. »

Ainsi, la concentration des isotopes a été mesurée dans le sang et l’haleine à l’aide d’un spectromètre de masse à rapport isotopique. La digestibilité de chaque acide aminé essentiel a été calculée comme étant le rapport entre l’enrichissement isotopique dans le sang/l’haleine et celui dans le repas‑test. Les résultats ont montré que les acides aminés essentiels (méthionine, phénylalanine, thréonine, lysine, leucine, isoleucine et valine) contenus dans le riz, l’éleusine cultivée et le haricot mungo était significativement moins digestes que ceux contenus dans l’œuf. En outre, ils ont révélé que plus le DIAAS était bas, plus le risque de retard de croissance était élevé.

« Ces résultats sont très utiles pour l’élaboration de recommandations en matière d’apport en protéines alimentaires en Inde ou ailleurs », indique Cornelia Loechl, cheffe de la Section des études de nutrition et d’écologie sanitaire de l’AIEA.

Les résultats des travaux de recherche soutenus par l’AIEA ont été utilisés en Inde pour élaborer de nouvelles formulations alimentaires complémentaires en vue de parvenir au bon équilibre des acides aminés essentiels.

Les programmes de développement de l’enfant sont désormais inscrits dans les politiques gouvernementales de nombreux États de l’Inde, ce qui garantit que du lait et des œufs sont donnés aux tout‑petits et aux enfants d’âge scolaire dans les établissements préscolaires et les écoles gérées par ces États.

En outre, ces données seront incluses dans une future base de données conjointe FAO‑AIEA sur la digestibilité des protéines dans l’alimentation humaine afin d’éclairer les discussions futures sur les besoins en protéines en fonction de l’âge et des besoins physiologiques. Cette nouvelle base de données est en cours d’élaboration.

 

09/2024
Vol. 65-2

Suivez-nous

Lettre d'information