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Renforcer la production d’énergie nucléaire grâce à l’intelligence artificielle

Wolfgang Picot

L’AIEA mène un projet de recherche coordonnée qui étudie comment l’intelligence artificielle peut faciliter le déploiement de petits réacteurs modulaires.

(Image : Adobe Stock)

L’intelligence artificielle (IA) présente un potentiel prometteur pour ce qui est de faire progresser la production d’énergie nucléaire. Ces systèmes informatiques sophistiqués simulent la logique humaine pour résoudre des problèmes et prendre des décisions. Grâce à sa capacité à améliorer l’efficacité, l’automatisation, la sûreté et la maintenance prédictive, ainsi qu’à optimiser les processus, l’IA progresse déjà dans certains domaines du secteur nucléaire.

L’IA est un terme générique qui englobe diverses technologies développées au fil des décennies. Elle peut aller de simples programmes informatiques, tels que les filtres antipourriels, à des concepts plus avancés comme l’apprentissage automatique par lequel les ordinateurs apprennent à partir de leurs expériences passées au moyen d’un entraînement intensif utilisant de grandes quantités de données. Avec l’arrivée de circuits intégrés très puissants est apparu l’apprentissage profond, qui fait appel à des réseaux neuronaux artificiels calqués sur le cerveau humain.

« Associée à d’autres technologies, comme les jumeaux numériques, l’IA pourrait considérablement accroître l’efficacité de la production d’énergie d’origine nucléaire. »
— Nelly Ngoy Kubelwa Ingénieure nucléaire à l’AIEA

L’IA générative, sous-ensemble de l’apprentissage profond, capable de créer des textes, des images et des vidéos originaux, a captivé l’attention du public. Elle est très polyvalente et peut être adaptée à de nombreuses fonctions ou activités différentes.

« On est en droit d’être enthousiasmé par ce que les outils génératifs peuvent faire », déclare Jeremy Renshaw, qui dirige les travaux concernant l’IA, les technologies quantiques et l’innovation nucléaire à l’Institut de recherche sur l’énergie électrique (EPRI). « Les modèles actuels sont déjà très puissants et de nombreux efforts sont actuellement déployés pour développer de nouveaux outils plus performants. » Même si l’IA générative peut faciliter des tâches administratives, comme c’est le cas dans d’autres secteurs, elle ne peut pas encore être utilisée dans le cadre de l’exploitation des centrales nucléaires en raison de son caractère nouveau et opaque. En effet, on ne comprend pas encore très bien comment les réseaux artificiels fonctionnent et parviennent à des conclusions.

Des systèmes plus transparents, appelés « IA explicable », laissent présager une utilisation plus large dans l’exploitation des centrales nucléaires. Des progrès sont réalisés en ce sens et M. Renshaw est convaincu qu’une fois concrétisés, ils permettront d’utiliser l’IA dans les centrales nucléaires dans un avenir proche.

Applications d’apprentissage automatique

L’apprentissage automatique est utilisé dans le secteur nucléaire depuis un certain temps déjà et s’est avéré utile dans divers domaines. Les exploitants se servent des algorithmes d’apprentissage automatique pour la surveillance en temps réel et la maintenance prédictive. Les modèles d’apprentissage automatique passent au crible les nombreuses données fournies par les capteurs, ce qui permet aux analystes humains de se concentrer sur les irrégularités éventuelles, dans une fraction de l’ensemble des données. « L’inspecteur n’a besoin d’évaluer que les données pertinentes. Au lieu de chercher une aiguille dans une botte de foin, nous éliminons la botte de foin », explique M. Renshaw.

Cette technologie ne remplace pas l’analyse humaine. Cependant, elle peut fournir des résultats plus rapides et plus fiables tout en s’appuyant sur une interaction humaine moindre, bien que toujours indispensable. L’apprentissage automatique est déjà utilisé pour détecter les fissures dans les citernes et les tuyaux métalliques des centrales nucléaires. Il permet d’accroître la précision, de réduire les coûts et d’optimiser la surveillance humaine, ce qui pourrait présenter de gros avantages dans le secteur de l’électronucléaire.

Il existe de nombreuses applications possibles de l’IA dans les centrales nucléaires. L’IA permettrait, par exemple, de renforcer l’efficacité et d’assurer un approvisionnement régulier en électricité en ajustant la production d’électricité en fonction de données recueillies en temps réel, telles que la demande des consommateurs, les conditions météorologiques et la performance des équipements. L’automatisation à l’aide de la robotique et de systèmes d’IA permettrait de gérer les tâches courantes, de concentrer l’intervention humaine sur les tâches à forte valeur ajoutée et d’améliorer l’efficacité de la centrale. Elle permettrait également d’optimiser la consommation de combustible et de maximiser la production d’énergie des réacteurs.

« Associée à d’autres technologies, comme les jumeaux numériques, l’IA pourrait considérablement accroître l’efficacité de la production d’énergie d’origine nucléaire », indique Nelly Ngoy Kubelwa, ingénieure nucléaire spécialisée dans les technologies innovantes à l’AIEA. Un jumeau numérique est une représentation numérique d’un objet physique, d’une personne ou d’un processus, capable de simuler des situations réelles et leurs résultats.

Selon Mme Ngoy Kubelwa, les solutions d’IA suscitent un vif intérêt dans la filière. Cela étant, avant qu’une nouvelle technologie puisse être utilisée dans les centrales nucléaires, il faut que les organismes de réglementation en connaissent et en comprennent parfaitement le fonctionnement pour être en mesure d’élaborer des lignes directrices et de délivrer des autorisations et des permis pour son utilisation.

« Il existe de nombreuses discussions autour de la question de savoir si l’IA, et en particulier l’IA générative, est quelque chose de radicalement différent qui nécessite que nous changions complètement notre approche pour réglementer son utilisation ou bien si nous pouvons adapter les normes actuelles », explique Mme Ngoy Kubelwa. « Pour étendre l’utilisation de cette technologie, nous devons définir des cadres en collaboration avec les organismes de réglementation. »

L’AIEA soutient l’application potentielle de l’IA dans les centrales nucléaires depuis 2021. Elle a élaboré un rapport sur l’IA et créé par la suite des groupes de travail sous les auspices du Réseau international pour l’innovation à l’appui des centrales nucléaires en exploitation (ISOP), qui se concentrent sur les aspects réglementaires et techniques du déploiement de l’IA. Les publications à venir sur les applications de l’IA dans le secteur nucléaire et leurs implications en matière de sûreté dans les centrales nucléaires soulignent cet engagement dans ce domaine. L’AIEA dirige également un projet de recherche coordonnée visant à étudier comment l’IA et les technologies innovantes peuvent contribuer à accélérer le déploiement des petits réacteurs modulaires, et elle envisage la création de centres collaborateurs de l’AIEA axés sur l’IA.

Pour Mme Ngoy Kubelwa, il ne s’agit pas seulement d’un sujet technique. « L’utilisation de l’IA et d’autres technologies émergentes sera le signe que le secteur nucléaire est à l’affût des derniers développements », déclare-t-elle. « Il est essentiel de nous engager sur ce terrain de manière proactive pour susciter l’intérêt de la jeune génération, ce qui est crucial pour assurer l’avenir de la production d’énergie d’origine nucléaire. »

 

09/2023
Vol. 64-3

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