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Réglementer les modèles de réacteurs innovants

Nayana Jayarajan, Volha Piotukh

L’Initiative d’harmonisation et de normalisation nucléaires, lancée en juin 2022, vise à harmoniser les approches réglementaires et à définir des approches industrielles communes.

Les réglementations qui régissent actuellement l’industrie nucléaire ont été conçues pour les types de réacteurs utilisés depuis la mise en service des premières centrales nucléaires commerciales dans les années 1960. Elles ont évolué à la lumière de l’expérience acquise au cours des six dernières décennies. À mesure que de nouveaux réacteurs nucléaires avancés, y compris les petits réacteurs modulaires (PRM), sont mis au point, les organismes de réglementation s’efforcent de veiller à ce que leurs processus, leurs réglementations et leurs orientations intègrent également des innovations afin que des technologies inédites puissent être déployées en toute sûreté et en toute sécurité.

Pour Brian Smith, directeur de la Division des octrois et renouvellements d’autorisations de la Commission de la réglementation nucléaire des États‑Unis d’Amérique et Président du Forum des responsables de la réglementation des petits réacteurs modulaires de l’AIEA, l’élaboration de réglementations et d’orientations technologiquement neutres est une priorité. « Aux États‑Unis, les seuls modèles que nous avons connus pendant plus de 50 ans sont ceux des grands réacteurs à eau ordinaire. C’est donc sur eux que se fondent nos réglementations », explique‑t‑il. Il ajoute : « Si certains PRM utilisent aussi de l’eau ordinaire à des fins de refroidissement, d’autres sont totalement différents. Nous devons créer presque de toutes pièces un nouveau cadre pour ces réacteurs, un cadre technologiquement neutre, qui tienne compte des risques et qui soit fondé sur les résultats. »

« Si certains PRM utilisent de l’eau ordinaire à des fins de refroidissement, d’autres sont totalement différents. Nous devons créer presque de toutes pièces un nouveau cadre pour ces réacteurs, un cadre technologiquement neutre, qui tienne compte des risques et qui soit fondé sur les résultats. »
— Brian Smith Directeur de la Division des octrois et renouvellements d’autorisations de la Commission de la réglementation nucléaire des États Unis d’Amérique

Pour relever les défis liés à la réglementation de ces technologies innovantes, les organismes de réglementation eux‑mêmes envisagent différentes stratégies, telles que l’examen de l’applicabilité des réglementations existantes, le recrutement prioritaire de personnel technique aux spécialisations diverses et l’apprentissage fondé sur l’expérience des demandeurs et d’autres organismes de réglementation.

« Certains de ces nouveaux modèles n’utilisent pas les mêmes matériaux dans le réacteur, et utilisent par exemple du graphite. D’autres atteignent aussi de plus fortes températures que celles atteintes par le parc existant (de réacteurs à eau ordinaire). Il faut prendre tout cela en compte », indique M. Smith. « Se doter d’un personnel technique adapté a également été un défi, non seulement pour nous, mais pour tous les organismes de réglementation. Pour ces nouveaux modèles, il faut pouvoir compter sur des experts techniques qui connaissent bien les diverses nouvelles technologies, afin d’être en mesure d’évaluer les aspects de sûreté du réacteur lui‑même. »

Une autre stratégie fructueuse a consisté à encourager des discussions préalables à la demande, également connues sous le nom d’examen du modèle proposé par le vendeur ou d’examen préalable à l’autorisation. L’idée ici est de permettre à l’organisme de vérifier que sa réglementation peut s’appliquer aux spécifications techniques des modèles innovants, et de permettre aux demandeurs de se faire une idée plus précise des prescriptions réglementaires, avant le début de la procédure officielle d’autorisation. Le Forum des responsables de la réglementation des PRM recommande aux organismes de réglementation et vendeurs de réacteurs de profiter de leurs échanges en amont de l’octroi de l’autorisation pour anticiper ou repérer les aspects qui exigeront de plus hauts niveaux d’intervention réglementaire et pourraient donc contraindre le titulaire de licence à interrompre ou retarder ses activités.

L’harmonisation par la collaboration

Les coûts d’investissement initiaux moins élevés, les besoins moindres en ressources et le potentiel d’applications non électriques des PRM renforcent leur attractivité aux yeux des pays qui se lancent dans des programmes électronucléaires ou qui envisagent de le faire. Par exemple, Khaled Tukan, Président de la Commission jordanienne de l’énergie atomique, explique que la Jordanie envisage de recourir aux PRM en partie parce qu’il s’est avéré difficile de trouver des ressources en eau suffisantes pour refroidir une centrale nucléaire conventionnelle dans ce pays aride et enclavé.

Pour ces pays, la collaboration internationale et la possibilité d’apprendre d’autres organismes de réglementation expérimentés sont essentielles pour garantir un programme électronucléaire sûr et sécurisé. Le Forum des responsables de la réglementation des petits réacteurs modulaires, créé en 2015, est un groupe international d’organismes de réglementation qui cherche et propose des solutions aux problèmes de sûreté communs susceptibles d’entraver les examens réglementaires des PRM.

Pour M. Smith, le Forum constitue une plateforme importante pour l’échange de connaissances et de données d’expérience sur la réglementation des PRM. Le Forum organise des ateliers régionaux et arrête des positions communes sur des sujets clés, que « nous pouvons ramener dans nos pays respectifs pour voir comment nous pourrions changer ou modifier nos propres orientations ».

Alors que plus de 80 modèles de PRM sont en cours de développement dans le monde, l’AIEA s’emploie à définir des stratégies industrielles communes et à harmoniser les stratégies réglementaires via l’Initiative d’harmonisation et de normalisation nucléaires (NHSI), pour favoriser le déploiement mondial efficace de réacteurs nucléaires avancés sûrs et sécurisés.

Le Directeur général de l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, a rappelé l’importance de cette initiative de l’AIEA lors de la séance plénière de la NHSI en juin 2023. « L’harmonisation des stratégies facilite le commerce international des PRM et des composants, car on conçoit et fabrique les réacteurs en suivant un ensemble de normes internationales plus uniformes, au lieu de devoir se conformer à de multiples prescriptions, parfois contradictoires, dans différents pays », a‑t‑il indiqué.

Le Directeur général a ajouté que l’AIEA, forte de ses décennies d’expérience en tant que pilier central pour les questions liées à sûreté et à la réglementation, se trouvait dans une position idéale pour favoriser la coopération internationale en matière de cadres réglementaires nationaux. « Une plus grande harmonisation des approches réglementaires permettra une meilleure collaboration internationale et donnera aux pays les moyens d’appliquer des normes élevées en matière de sûreté et de sécurité », a-t-il estimé. La NHSI, lancée en juin 2022, s’articule autour de deux volets distincts mais complémentaires : le volet réglementaire et le volet industriel. Le Forum des responsables de la réglementation des PRM appuie le volet réglementaire et élabore des processus pour tirer parti des examens d’autorisation d’autres organismes de réglementation et mener des examens conjoints.

Le volet réglementaire de la NHSI comprend également un groupe de travail sur l’élaboration d’un cadre pour le partage d’informations entre les organismes de réglementation, et un autre axé sur un examen multinational préalable à l’autorisation. Dans le cadre d’un tel examen, les organismes de réglementation travailleraient ensemble pour recenser les problèmes que comporterait un nouveau modèle de réacteur, avant l’examen national d’autorisation.

L’information et la participation du public sont des pierres angulaires du développement de l’électronucléaire. L’information du public sur la sûreté des modèles de réacteurs innovants, tels que les PRM, et l’engagement des parties prenantes en faveur de cette sûreté seront essentiels au déploiement réussi de ces réacteurs. « Étant donné que ces réacteurs pourront être situés beaucoup plus près de la population, l’une des priorités pour les organismes de réglementation est de dialoguer avec la population et de l’écouter, en particulier dans les pays primo‑accédants, où il s’agira du premier réacteur », précise M. Smith. « Les organismes de réglementation s’attachent donc à instaurer une solide culture d’ouverture, de professionnalisme et de sûreté, et à souligner leur indépendance, leur transparence et leur rôle en tant que source crédible d’informations rapides, fiables et facilement accessibles. »

 

09/2023
Vol. 64-3

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