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Redonner vie aux trésors archéologiques de l’Antiquité romaine grâce à la science nucléaire

Michael Madsen

L’ancien navire romain Arles-Rhône 3 a été préservé grâce aux techniques nucléaires et est exposé au Musée départemental Arles Antique, en France. (Photo : Cd13/MdDa/Chaland Arles Rhône 3 © Remi Benali)

En 1996, le plongeur belge René Wauters fit la découverte archéologique de sa vie. Au large de Vele Orjule, un îlot croate de la mer Adriatique, il découvrit, par 45 mètres de fond, une mystérieuse statue antique en bronze. Pendant plus de dix ans, les chercheurs soumirent la statue à des examens minutieux reposant sur des techniques nucléaires afin de déterminer son âge, son origine et jusqu’aux méthodes employées pour l’ériger.

Cette statue représentant un athlète nu et musclé se raclant la peau pour en ôter la sueur et la poussière - un « Apoxyomène » - avait été ramenée à la surface en 1999 dans un état de corrosion très avancé et avait alors fait l’objet d’un long processus de désalinisation et de restauration, à l’issue duquel, en 2005, les archéologues étaient restés perplexes : le thème de l’Apoxyomène ayant été plusieurs fois exploré dans l’Antiquité, cette statue était-elle romaine ou grecque ? Il fut impossible de déterminer ses origines jusqu’en 2009, date à laquelle un accélérateur permit d’y voir plus clair.

Les techniques faisant appel aux accélérateurs jouent un rôle important dans la caractérisation des objets du patrimoine, et cet Apoxyomène nous montre qu’une approche combinant plusieurs types d’analyses est souvent nécessaire. »
Lena Bassel, administratrice adjointe chargée de projets pour la science du patrimoine, AIEA

« Pour déchiffrer le passé de cet Apoxyomène, il a fallu recourir à plusieurs techniques nucléaires afin de mieux comprendre sa structure au niveau atomique », explique Lena Bassel, administratrice adjointe chargée de projets pour la science du patrimoine à l’AIEA, qui aide des experts du monde entier à appliquer ces techniques à des fins de caractérisation d’artefacts. Mme Bassel nous apprend ainsi que, selon une étude publiée dans le Journal of Archaeological Science en 2010, des chercheurs ont réussi, en appliquant la spectrométrie de masse par accélérateur à la matière organique trouvée à l’intérieur de l’Apoxyomène, à établir, par datation au carbone, que la statue avait été réalisée à une période comprise entre l’an 100 avant J.-C. et l’an 250 de notre ère.

Les chercheurs se sont également appuyés sur la technique de l’émission de rayons X induite par des microparticules (PIXE) pour déterminer la composition originale de l’alliage, et ont utilisé un spectromètre de masse multicollecteur à source plasma à couplage inductif pour mieux cerner la composition isotopique du plomb de la statue. Les isotopes sont des formes spécifiques d’un élément chimique qui varient selon leur masse atomique et leurs propriétés physiques. En examinant le rapport entre les différents isotopes du plomb dans un échantillon et en le croisant avec les propriétés connues de différentes zones géographiques, les scientifiques sont capables d’identifier la provenance de l’échantillon. « Ils ont utilisé la technique d’analyse reposant sur les accélérateurs et ont ainsi établi que le plomb de la statue provenait des Alpes orientales ou de Sardaigne ; ils en ont conclu que la statue était une copie romaine d’un original grec », déclare Mme Bassel.

Les chercheurs ont utilisé des techniques faisant appel aux accélérateurs pour déterminer l’âge de l’Apoxyomène, son origine et les méthodes employées pour ériger cette statue. (Photo : Vassil /Wikimedia Commons)

Cinq ans plus tard, les chercheurs ont ré-examiné l’Apoxyomène à l’aide d’une technique PIXE à haute résolution latérale. Ils ont découvert que la partie incrustée des lèvres de l’athlète étaient faites de cuivre non allié très pur. La radiographie a révélé comment ces incrustations avaient été insérées, positionnées et fixées, et a permis de percer les techniques sophistiquées de moulage et d’assemblage des membres qui avaient été employées. Les chercheurs sont parvenus à la conclusion que l’Apoxyomène découvert en Croatie était manifestement une copie d’une statue beaucoup plus ancienne (datant du milieu du IVe siècle avant J.-C.), réalisée par une technique de moulage indirect cire perdue utilisant un alliage à faible teneur en plomb.

« Les techniques faisant appel aux accélérateurs jouent un rôle important dans la caractérisation des objets du patrimoine, et cet Apoxyomène nous montre qu’une approche combinant plusieurs types d’analyses est souvent nécessaire. L’AIEA s’efforce de promouvoir ces applications », précise Mme Bassel. Depuis 2018, l’AIEA et ses États Membres ont mis en avant l’initiative intitulée « Atomes pour le patrimoine », et ont noué l’an dernier un partenariat stratégique avec l’Université de Paris-Saclay, en France, en vue d’intensifier l’exploitation des techniques nucléaires dans la caractérisation et la préservation du patrimoine culturel et naturel. En collaboration avec l’AIEA, l’Université se concentrera principalement sur la recherche et le développement scientifiques, ainsi que sur le transfert de connaissances et bonnes pratiques avec des experts du monde entier.

Une épave romaine exhumée du Rhône

Les techniques nucléaires exploitées en archéologie ne le sont pas seulement à des fins de caractérisation d’artefacts ; l’irradiation joue aussi, depuis longtemps, un rôle important dans la préservation de ces derniers. L’irradiation en 1977 de la momie du pharaon égyptien Ramsès II, vieille de 3 200 ans, destinée à éliminer les champignons et les insectes qu’elle contenait est restée célèbre, mais cette technologie a été depuis mise en œuvre dans de nombreux autres projets.

En 2004, un navire romain datant du premier siècle de notre ère a été découvert à Arles (France), gisant par moins de quatre mètres sous la surface du Rhône. Baptisé « Arles-Rhône 3 », le chaland en chêne de 31 mètres de long a probablement fait naufrage à la suite d’une crue soudaine qui l’a recouvert d’une couche d’argile fine.

« L’argile a permis de préserver le navire et ses précieux artefacts, mais les bactéries anaérobies ont dissous la cellulose du bois, qui a été remplacée par de l’eau. Cela a posé problème en 2011, lorsque des chercheurs ont envisagé de sortir le navire du lit du fleuve et de l’installer dans un musée, car, en séchant, le bois risquait de se désagréger », explique Laurent Cortella, ingénieur-chercheur à l’ARC-Nucléart, un atelier de restauration et de conservation situé à Grenoble.

ARC-Nucléart a eu l’idée de plonger le bois dans un bain de polyéthylène glycol, pour ensuite le lyophiliser et traiter certaines parties du navire par irradiation. « Comme pour sécher de la colle avec un sèche-cheveux, les restaurateurs ont eu recours à l’irradiation pour solidifier la résine radio-réticulable et tenir ensemble la structure fibreuse du bois », précise Bum Soo Han, radiochimiste à l’AIEA, qui s’emploie, dans le cadre de l’initiative « Atomes pour le patrimoine », à promouvoir l’utilisation des technologies d’irradiation dans la préservation du patrimoine culturel. M. Han offre un soutien technique aux efforts de préservation culturelle à l’échelle mondiale et voit la demande pour de telles applications augmenter.

« Le chaland Arles-Rhône 3 est désormais exposé au Musée départemental Arles Antique, mais il n’est pas nécessaire de se rendre en France pour voir des exemples de préservation d’artefacts par irradiation ; ces techniques sont largement appliquées », indique M. Han. En 2017, l’AIEA a présenté, dans une publication intitulée « Uses of Ionizing Radiation for Tangible Cultural Heritage Conservation », quelques illustrations d’applications réussies de ces techniques dans le monde entier. M. Han planche actuellement sur la prochaine édition de cette série de publications de l’AIEA, qui portera sur les bonnes pratiques ayant recours aux rayonnements ionisants en matière de désinfection des artefacts et des archives du patrimoine culturel. Sa parution est prévue en 2023.

L’ancien navire romain Arles-Rhône 3 en préparation pour être exposé au Musée départemental Arles Antique, en France. (Photo : Cd13/MdDa/Chaland Arles Rhône 3 © Remi Benali)

05/2022
Vol. 63-2

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