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Qu’est-ce que le changement climatique et en quoi le nucléaire peut-il aider à le mesurer et à le surveiller ?

Joanne Liou

Avec le changement climatique, les phénomènes météorologiques extrêmes se sont multipliés : la force des ouragans et l’ampleur des inondations se sont accentuées, les températures battent des records et les sécheresses se font de plus en plus longues. (Photo : S. Kesari/Unsplash)

Fonte des glaciers, assèchement des lacs, destruction des récoltes, aggravation des risques pour la santé... les conséquences du changement climatique sont bien visibles et tangibles. Le « climat » propre à un lieu donné désigne les conditions météorologiques moyennes que l’on y observe sur une certaine durée. On parle donc de changement climatique lorsque ces tendances météorologiques évoluent. La hausse des températures vient précisément modifier ces dernières et, ce faisant, perturbe l’équilibre de la nature et bouscule notre vie quotidienne.

D’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM), la température a augmenté, à l’échelon de la planète, d’environ 1,1 oC par rapport aux niveaux préindustriels, ces sept dernières années ayant par ailleurs été les plus chaudes jamais enregistrées. Et ce n’est qu’un début.

« Le changement climatique bouleverse le monde entier », explique Oksana Tarasova, responsable scientifique principale à l’OMM. « La hausse des températures, l’élévation du niveau des océans et l’intensité accrue des phénomènes extrêmes dont s’accompagne le changement climatique se répercutent sur notre vie et nos biens. »

Même si les facteurs naturels, tels que les éruptions volcaniques et la décomposition végétale, influent sur le climat, les scientifiques s’accordent à dire que le changement climatique est dû avant tout à l’activité humaine. L’utilisation des combustibles fossiles, – le charbon, le pétrole et le gaz –, le défrichage et la déforestation génèrent des gaz à effet de serre, tels que le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane, qui piègent la chaleur et entraînent un relèvement des températures.

Le dernier rapport de l’OMM confirme que les concentrations de gaz à effet de serre ont atteint un record en 2021. À l’échelon mondial, la concentration de dioxyde de carbone était de 415,7 parties par million (ppm), soit 50 % de plus qu’à l’ère préindustrielle.

« Si l’on veut réduire l’empreinte des activités humaines sur le climat, il faut s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre », affirme Mme Tarasova. « La question est de savoir quel est le moyen le plus efficace d’y parvenir. »

La réponse se trouve dans l’air, et ce sont les isotopes stables qui nous la révèlent.

Nous avons besoin d’un plus grand nombre de mesures et de données de meilleure qualité pour comprendre ce qui nous attend dans les années et décennies à venir. C’est un travail de longue haleine, mais qui devrait se révéler payant.
Manfred Gröning, chef du Laboratoire de radiochimie de l’environnement terrestre de l’AIEA

Isotopes stables

Les isotopes stables sont les formes non radioactives des atomes. Grâce aux techniques nucléaires, il est possible de mesurer la quantité et la proportion d’isotopes dans la matière, et ces informations, ce que l’on appelle la « signature isotopique », permettent de déterminer leur origine.

Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, les scientifiques analysent des échantillons d’air et utilisent les techniques nucléaires pour savoir d’où vient le problème. « Nous devons comprendre les sources, les puits (c’est-à-dire toute chose qui absorbe plus de carbone qu’elle n’en rejette dans l’atmosphère) et la composition isotopique, ou la signature isotopique, du dioxyde de carbone », précise Manfred Gröning, chef du Laboratoire de radiochimie de l’environnement terrestre de l’AIEA. « La composition isotopique du dioxyde de carbone dans un échantillon d’air est une sorte de carte d’identité, qui indique s’il est d’origine naturelle ou industrielle. »

En parvenant à identifier la source des émissions, on peut travailler de manière plus efficace et plus efficiente pour cibler les polluants et réduire les gaz à effet de serre dans l’atmosphère. « Il se peut qu’une zone soit la proie de feux de forêt, qu’une autre s’adonne à activités agricoles occasionnant un phénomène de détérioration de végétaux, et qu’à cela s’ajoute l’utilisation de combustibles fossiles : ce sont là autant d’éléments qui contribuent à la complexité du changement climatique », explique M. Gröning. « Il faut pouvoir déterminer scientifiquement les sources de ces émissions. »

Matériaux de référence

Le changement climatique ne connaît pas de frontières, il touche toutes les régions de la planète. Pour mettre en place une stratégie de suivi unifiée à l’échelle mondiale, il convient de normaliser les mesures isotopiques – et c’est là où l’AIEA joue un rôle de premier plan.

« L’AIEA dispose à la fois d’experts en analyse isotopique et de spécialistes de l’élaboration de matériaux de référence », indique Federica Camin, spécialiste de ces questions à l’AIEA. Les matériaux de référence s’apparentent à des normes physiques qui servent à étalonner les appareils de laboratoire. Depuis les années 60, l’AIEA crée des matériaux de référence qu’elle distribue aux laboratoires pour les aider à évaluer la qualité des résultats obtenus au moyen de techniques nucléaires d’analyse.

« Lorsqu’on mesure la masse, on s’exprime généralement en kilogrammes. Pour les gaz à effet de serre, ce sont les matériaux de référence qui servent d’étalon de mesure, et qui permettent aux laboratoires du monde entier d’utiliser une même échelle de référence. Sans eux, impossible de mettre en place un système d’observation mondial », explique Mme Camin. L’AIEA a mis au point un matériau de référence à base de carbonate, qui se présente sous la forme d’une poudre blanche contenue dans une petite fiole. « À partir de ce carbonate solide en poudre, les laboratoires peuvent produire du dioxyde de carbone sous forme de gaz pour étalonner leurs instruments d’analyse », poursuit-elle.

Soucieuse de faciliter l’accès aux matériaux de référence du CO2, l’AIEA s’emploie actuellement à produire des matériaux de référence gazeux qui seront plus simples à utiliser. « Ils sont une quarantaine de laboratoires de par le monde à faire œuvre de pionniers pour ce qui concerne la mesure des isotopes stables que renferment les gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces laboratoires ont besoin de normes de référence », souligne Mme Camin. « Nous mettons actuellement au point trois nouveaux matériaux de référence pour ce gaz, afin de permettre à davantage de laboratoires d’y avoir recours et d’aider à constituer un ensemble de données de haute qualité et d’envergure mondiale sur la question. » Les nouveaux matériaux de référence devraient être distribués en 2024.

Appui aux laboratoires

Il est extrêmement difficile de mesurer précisément les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et leurs rapports isotopiques, explique M. Gröning, car il faut pouvoir disposer d’équipements de laboratoire, de protocoles et de ressources humaines suffisants pour produire des données comparables. Seuls quelques établissements sont capables de mesurer les isotopes pour dépister et retracer leur source précise. En 2021, désireux de combler les lacunes qui subsistaient au plan mondial, l’AIEA et l’OMM ont lancé leur premier projet conjoint de coopération technique sur les capacités de mesure des isotopes, notamment pour les émissions de méthane, en Afrique, en Amérique latine et aux Caraïbes, en Asie et dans le Pacifique, ainsi qu’en Europe.

« Dans les prochaines décennies, la fonte du pergélisol va libérer du méthane dans l’atmosphère », prévient M. Gröning. D’une manière générale, si les scientifiques réussissent à savoir comment ces rejets pourraient évoluer et à comprendre les processus de transfert, de décroissance ou de destruction du méthane, ils pourront mieux appréhender les processus et les mesures nécessaires pour atténuer le changement climatique. L’AIEA a entrepris de mettre au point des matériaux de référence pour le gaz méthane.

L’amélioration des capacités d’utilisation des techniques isotopiques pour le suivi des mesures permettra de collecter davantage de données et d’enrichir ainsi le programme de Veille de l’atmosphère globale de l’OMM, utilisé pour suivre l’évolution des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. « Nous avons besoin d’un plus grand nombre de mesures et de données de meilleure qualité pour comprendre ce qui nous attend dans les années et décennies à venir », ajoute M. Gröning. « C’est un travail de longue haleine, mais qui devrait se révéler payant. »

12/2022
Vol. 63-4

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