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MYRRHA : un système piloté par accélérateur pour gérer les déchets radioactifs

Hamid Aït Abderrahim

Rendu en 3D de l’installation MYRRHA.

(Photo : MYRRHA)

Un des principaux – faux – arguments avancés contre l’électronucléaire est que « le problème des déchets nucléaires n’a pas de solution ». Le combustible nucléaire usé non retraité conserve un niveau de radiotoxicité supérieur à celui de l’uranium naturel pendant environ 300 000 ans, et la grande majorité de l’uranium et du plutonium qu’il contient reste non consommée. Des solutions techniques existent pour le stockage définitif à long terme, mais il y a également une autre option : le recyclage du combustible nucléaire.

L’uranium et le plutonium contenus dans le combustible usé peuvent tous les deux être retraités et réutilisés dans du combustible neuf pour produire de l’électricité. Cependant, les opérations de retraitement standard produisent des actinides mineurs, des éléments proches de l’uranium dans le tableau périodique qui ne peuvent pas être brûlés dans les réacteurs actuels. Il faut encore 10 000 ans pour que les déchets radioactifs qui contiennent ces résidus reviennent à leur niveau de rayonnement naturel.

Le réacteur de recherche polyvalent hybride pour des applications de haute technologie (MYRRHA) en construction au Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK•CEN), en Belgique, s’appuie sur le concept de système piloté par accélérateur (ADS) et vise à traiter les actinides, en particulier les actinides mineurs. L’objectif est de faire la démonstration technique du système piloté par accélérateur et de prouver la faisabilité de la transmutation des actinides mineurs à l’échelle industrielle. En réduisant la radiotoxicité, on pourrait réduire le volume des déchets radioactifs de haute activité de 99 % et ramener la durée d’entreposage nécessaire à seulement 300 ans.

MYRRHA diffère de la plupart des réacteurs actuels sur deux grands aspects. Premièrement, il utilise des neutrons rapides, indispensables pour fissurer les actinides mineurs. Deuxièmement, il peut fonctionner en mode sous-critique, c.-à-d. sans réaction de fission en chaîne auto-entretenue, car il est couplé à un accélérateur de protons de haute énergie qui produit les neutrons primaires nécessaires dans le cœur du réacteur par spallation. C’est nécessaire pour contrôler la réactivité lorsqu’on brûle les actinides mineurs et cela a en plus pour avantage que, dès que l’accélérateur est mis à l’arrêt, la réaction de fission en chaîne s’arrête et le réacteur s’éteint. Mesure de sûreté essentielle, le réacteur est conçu de façon que la chaleur de décroissance résiduelle puisse être dissipée par la circulation naturelle, sans système actif ni intervention.

La transmutation d’une grande partie du combustible usé dans le monde nécessitera un réseau d’installations industrielles. Jusqu’à présent, les technologies associées au projet MYRRHA ont été prouvées individuellement en laboratoire dans des installations expérimentales. MYRRHA est donc une centrale pilote pré-industrielle destinée à intégrer et à tester les technologies à grande échelle tout en augmentant sensiblement la fiabilité.

De nombreuses difficultés scientifiques, techniques et réglementaires devront être surmontées pendant la mise en œuvre de ce projet pionnier. Un examen préalable à l’autorisation a été réalisé par l’organisme de réglementation nucléaire belge, après d’étroites consultations avec les développeurs du projet, et aucun problème susceptible de mettre en doute l’autorisation future de MYRRHA n’a été soulevé. Nous espérons que cela poussera de nombreux jeunes en Belgique et ailleurs à s’intéresser au domaine nucléaire, qui revêt une grande importance pour le pays.

Si le projet porte avant tout sur la gestion des déchets radioactifs, l’installation a de nombreuses autres applications dans des domaines de pointe de la recherche-développement. Le projet MYRRHA est divisé en trois phases. La première, en cours, verra la construction de la partie basse énergie [100 mégaélectronvolt (MeV)] de l’accélérateur de protons, avec le lancement d’un grand nombre de travaux de recherche vers 2027. Ces travaux tourneront autour du système de séparation isotopique en ligne (ISOL@MYRRHA), qui permet de sélectionner les isotopes spécifiques à utiliser dans les radiopharmaceutiques et de produire des faisceaux d’ions radioactifs pour toute une série d’expériences de physique nucléaire, avec le concours d’une installation de grande puissance adaptée à la recherche sur les matériaux de fusion.

La grande précision des mesures qui peuvent être faites sur les faisceaux radioactifs produits par ISOL@MYRRHA peut aussi aider à comprendre la validité du « modèle standard » de la physique des particules. Si la première phase est une réussite et si l’accélérateur fait preuve de la fiabilité exceptionnelle nécessaire à l’ADS, on portera la puissance de l’accélérateur de protons à son maximum (600 MeV) lors de la deuxième phase. La dernière phase consistera à construire le réacteur sous-critique lui-même. Le plomb-bismuth (Pb-Bi) est utilisé comme caloporteur pour dissiper la chaleur générée par le réacteur nucléaire. Le cœur du réacteur, conçu de manière flexible, peut être chargé avec du combustible à mélange d’oxydes, des actinides mineurs et des cibles pour la production d’isotopes médicaux. Des dispositifs permettront de réaliser des tests d’irradiation et de corrosion sur les futurs matériaux structurels des réacteurs à fission rapide et même des futurs réacteurs de fusion. Le réacteur MYRRHA refroidi au Pb-Bi peut servir d’installation expérimentale de test technologique pour les réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb de la quatrième génération.

Le gouvernement belge a investi quelque 200 millions d’euros dans le projet jusqu’à présent, avec un supplément de 558 millions d’euros en 2018 pour la période 2019-2038 sur la base d’un budget global estimé à environ 1,6 milliard d’euros. Une entité à but non lucratif a été créée. Cela permettra à MYRRHA d’attirer l’investissement de gouvernements et d’entités étrangers pour les deuxième et troisième phases et de fonctionner comme une organisation internationale. MYRRHA a été inscrit sur la liste du Forum stratégique européen pour les infrastructures de recherche (ESFRI), qui recense les projets considérés par les chercheurs comme étant à la pointe du progrès, et le Comité de collaboration européen pour la physique nucléaire (NuPECC) a inclus ISOL@MYRRHA dans son plan à long terme concernant les principales installations européennes de physique nucléaire. Le Plan stratégique européen pour les technologies énergétiques (plan SET), destiné à promouvoir les technologies bas carbone, mentionne également MYRRHA, ce qui permet au projet de recevoir un financement de la Banque européenne d’investissement.

Par ailleurs, le recyclage de l’uranium et du plutonium en combustible pour les systèmes à spectre de neutrons rapides réduit la demande d’extraction de minerai d’uranium et augmente considérablement la quantité d’énergie récupérée de ce minerai, et de nombreuses entreprises demandent vivement une amélioration de l’efficacité de l’utilisation des matières premières et de la réduction des déchets. C’est pourquoi MYRRHA a été intégré dans les politiques nationales belges d’investissement stratégique et dans le plan national intégré sur l’énergie et le climat.

 

05/2022
Vol. 63-2

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