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Le nucléaire dans le contexte des crises énergétique et climatique

Miklos Gaspar

Fatih Birol, Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). (Photo : D. Calma/IAEA)

Fatih Birol, économiste de renommée mondiale spécialisé dans l’énergie et Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), connaît bien l’électronucléaire. Dans la lutte contre le changement climatique, il s’est prononcé en faveur de toutes les options à faibles émissions, y compris l’énergie nucléaire. Président du Conseil consultatif sur l’énergie du Forum économique mondial, il figurait sur la liste des 100 personnalités les plus influentes au monde établie par le magazine Time en 2021. M. Birol a donné cette année une conférence aux représentants des États Membres de l’AIEA sur la crise énergétique mondiale et sur ses conséquences pour les marchés de l’énergie et le climat. Nous nous sommes entretenus avec lui pour mieux comprendre le rôle de l’énergie nucléaire face à ces deux défis.

Q : Vous avez parlé d’une crise énergétique et d’une crise climatique simultanées. Quel rôle pensez-vous que l’énergie d’origine nucléaire puisse jouer dans la lutte contre ces problèmes ?

R : Nous assistons aujourd’hui à une crise énergétique, mais également à une crise humanitaire et à une crise climatique. Elles sont toutes liées entre elles. Je pense que nous vivons en réalité la première crise énergétique mondiale, et elle touche les marchés du pétrole, du gaz, de l’électricité et du charbon. Jamais le monde n’avait connu une telle crise dans ce domaine. C’est un nouveau monde énergétique, avec de nouvelles réalités. Nous sommes à un tournant pour l’énergie mondiale.

Je pense que le nucléaire peut jouer un rôle dans les pays où il est accepté pour traiter à la fois les problèmes de sécurité énergétique et les problèmes climatiques. Pour ce faire, nous devons nous assurer que l’industrie nucléaire respecte les délais et les coûts, et, point essentiel, que les centrales nucléaires sont exploitées en toute sûreté.
Fatih Birol, Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie

Je pense que le nucléaire peut jouer un rôle dans les pays où il est accepté pour traiter à la fois les problèmes de sécurité énergétique et les problèmes climatiques. Pour ce faire, nous devons nous assurer que l’industrie nucléaire respecte les délais et les coûts, et, point essentiel, que les centrales nucléaires sont exploitées en toute sûreté.

La crise pétrolière des années 1970 a été source de souffrances économiques et sociales, mais a également suscité des innovations – pour améliorer l’efficacité énergétique et faire une plus large place à d’autres sources d’énergie, telles que le nucléaire. Plus de 40 % des centrales nucléaires actuelles ont été construites en réponse à la crise pétrolière.

Nous disposons aujourd’hui de solutions très concurrentielles pour nous aider à surmonter la crise énergétique : l’énergie solaire, l’énergie éolienne, les voitures électriques – mais aussi l’énergie nucléaire.

Q : Vous dites que de nombreux pays s’intéressent de nouveau à l’énergie nucléaire. Comment l’expliquez-vous et pourquoi s’y intéressent-ils maintenant ?

R : Plusieurs pays, économiquement avancés ou en développement, envisagent l’option nucléaire. Nombre de ceux qui l’avaient écartée y réfléchissent à nouveau. Cela tient au fait qu’ils comprennent que le nucléaire, lorsqu’il est exploité de manière sûre, peut les aider à assurer leur sécurité électrique et leur sécurité énergétique. En outre, il peut être l’une des options du secteur énergétique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui peut aider les pays à atteindre les objectifs qu’ils ont annoncés. Partant, de nombreux gouvernements le considèrent comme une solution – non pas comme la seule et unique solution, mais sans aucun doute comme l’une des options possibles.

L’énergie solaire et l’énergie éolienne deviennent très peu coûteuses, mais l’un des moyens les moins chers au monde de produire de l’électricité est de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes.

En revanche, si les inquiétudes de sécurité énergétique parfaitement justifiées qu’expriment de nombreux pays poussent ceux-ci à brûler davantage de charbon, les objectifs en matière de changement climatique seront hors de portée.

Q : Dans plusieurs pays, notamment occidentaux, l’un des grands obstacles à l’énergie nucléaire est l’opinion publique. Que peuvent faire des organisations comme l’AIE et l’AIEA pour influencer les attitudes et contribuer à une vision objective du nucléaire ?

R : Notre organisation n’est ni pro-nucléaire ni anti-nucléaire. Notre organisation œuvre en faveur de la sécurité énergétique et de la lutte contre le changement climatique. Nous mettons les faits sur la table. Et les faits montrent que, sans l’électronucléaire, il sera beaucoup plus difficile et coûteux d’atteindre les objectifs climatiques internationaux. Nous soulignons également un autre fait auprès des gouvernements : la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes est l’une des solutions les moins chères pour produire une électricité propre. Ce sont les faits que les gouvernements doivent présenter à leurs citoyens pour que cette énergie soit mieux acceptée par le grand public et pour surmonter les difficultés.

On constate déjà un changement de perception du nucléaire. Le public prend conscience de l’importance de la sécurité énergétique et de la lutte contre le changement climatique. Si une large part de notre énergie provient des énergies renouvelables, l’hiver, les jours froids avec peu de vent, nous aurons besoin d’autres sources d’électricité propre, comme le nucléaire. En réalité, l’opinion publique et les gouvernements sont de plus en plus favorables au nucléaire. Il faut maintenant que l’industrie nucléaire tienne ses promesses en matière de coûts et de délais.

Rafael Mariano Grossi, Directeur géneral de l’AIEA (à droite) et Fatih Birol,  Directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie. (Photo : D. Calma/AIEA)

12/2022
Vol. 63-4

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