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La science nucléaire au service de la lutte contre les maladies transmises par des vecteurs

Sinead Harvey

Moustiques au Laboratoire de lutte contre les insectes ravageurs

(Photo : D. Calma/AIEA)

Les moustiques comptent parmi les pires ennemis de l’homme, en ce qu’ils sont capables de transmettre des pathologies mortelles telles que le paludisme et la maladie à virus Zika qui peuvent faire des ravages à l’échelon planétaire. Certains pays ont cependant recours à une méthode de régulation des naissances reposant sur la technologie nucléaire, dite « technique de l’insecte stérile » (TIS), pour lutter contre les maladies véhiculées par les moustiques, comme la dengue. Le Bangladesh en fait partie.

« La dengue a frappé le Bangladesh en 2019 dans des proportions jamais atteintes jusqu’alors. Plus de 100 000 cas ont été rapportés ; notre système de santé a été submergé par un afflux de patients présentant des symptômes analogues à un état grippal avancé, et plus de 150 personnes ont perdu la vie », se souvient Mahfuza Khan, Directrice de l’Institut de biologie alimentaire et de radiobiologie - organisme rattaché à la Commission de l’énergie atomique du Bangladesh. Les pluies de mousson qui se sont abattues pendant une longue période sur le pays ont créé des conditions d’incubation idéales pour les moustiques Aedes, ceux-là même qui propagent la dengue et d’autres maladies comme le Zika et le chikungunya. « Dans ce combat que nous menons pour préserver la population de ces maladies, il nous faut concentrer nos efforts sur la mise en place d’une approche intégrée de la lutte contre les moustiques, qui passe notamment par l’utilisation de la technique de l’insecte stérile. »

Dans notre région, les moustiques Aedes sont une espèce envahissante et de plus en plus résistante aux insecticides, ce qui rend les techniques classiques de lutte contre ce ravageur moins efficaces.
Rachel Morreale, Responsable du Département de sciences et technologies appliquées du Lee County Mosquito Control District, en Floride (États-Unis)

En août 2019, le Bangladesh s’est tourné vers l’AIEA pour solliciter son assistance. Un plan quadriennal prévoyant de faire appel à la TIS dans le cadre d’un programme de gestion intégrée des ravageurs à l’échelle régionale a alors été élaboré en vue de lutter contre les moustiques Aedes.

L’utilisation de cette technique pour combattre les moustiques commence à se développer dans plusieurs pays, dont l’Allemagne, le Brésil, Cuba, l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, la Grèce, l’Indonésie, l’Italie, la Malaisie, Maurice et le Mexique. Le Bangladesh s’est lui aussi engagé dans cette voie, avec le concours de l’Initiative sur les utilisations pacifiques (PUI).

La TIS est une technique respectueuse de l’environnement qui consiste à élever en grande quantité des insectes cibles qui sont ensuite stérilisés par irradiation. Les mâles stériles sont alors transportés vers les zones infectées où ils sont relâchés afin de leur permettre de s’accoupler avec des femelles sauvages. Leur accouplement n’engendre aucune descendance, ce qui a pour effet de réduire la population d’insectes sauvages au fil du temps. Cette technique est utilisée depuis plus de 70 ans et a donné de bons résultats dans la lutte contre plusieurs insectes ravageurs nuisibles à l’agriculture.

« À la suite de la demande formulée par le Bangladesh, l’AIEA, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a envoyé une équipe pluridisciplinaire qui a été chargée d’évaluer l’épidémie et d’aider des spécialistes locaux à mettre au point un plan faisant appel à la TIS, conjuguée à d’autres méthodes, pour éradiquer les moustiques vecteurs de la maladie », explique Rui Cardoso Pereira, chef de la Section de la lutte contre les insectes ravageurs à la Division mixte FAO/AIEA des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture.

Depuis 2016, le Japon, les États-Unis et le Royaume-Uni ont financé cette initiative à hauteur de près de 2,5 millions d’euros dans le but de faire progresser les travaux de recherche-développement consacrés à l’éradication des moustiques par la technique de l’insecte stérile et résoudre les difficultés associées à sa diffusion à grande échelle pour la destruction de l’espèce Aedes, mais aussi des moustiques Anopheles, qui transmettent le parasite du paludisme.

Élever des moustiques en grande quantité

« Les moustiques posent un certain nombre de problèmes qu’il faut régler avant de pouvoir appliquer la TIS à grande échelle », indique Cardoso Pereira. Le premier d’entre eux est d’arriver à nourrir et élever les moustiques qui doivent être irradiés puis relâchés.

Les travaux de recherche-développement ont permis d’améliorer la rentabilité de l’élevage en masse. L’abandon de l’acier inoxydable au profit de l’aluminium et du plastique, moins chers, pour les casiers et cages fait partie des avancées qui favorisent les conditions d’une mise en œuvre à plus grande échelle de l’élevage en masse.

Séparer mâles et femelles

Sachant que ce sont les moustiques femelles qui piquent et transmettent la maladie, il est primordial de faire en sorte que seuls les mâles soient relâchés.

Chez les moustiques Aedes, mâles et femelles peuvent être séparés au stade pupal, les pupes femelles étant nettement plus nombreuses que les pupes mâles. Cette méthode n’est cependant pas toujours précise, car la taille des pupes est influencée par l’alimentation, les conditions d’élevage, la densité de la population d’insectes et d’autres facteurs d’ordre environnemental. Soucieux d’optimiser la séparation des moustiques Aedes mâles et femelles, les experts scientifiques de la Division mixte FAO/IAEA ont donc mis au point, dans le cadre d’un projet appuyé par la PUI, des souches de sexage génétique ayant pour effet de produire un marquage oculaire chromatique différencié (les yeux étant de couleur rouge chez les femelles et de couleur noire chez les mâles), ce qui est censé faciliter la séparation des sexes dans les applications TIS.

Irradier les moustiques

À l’origine, les irradiateurs gamma ont été utilisés pour stériliser massivement des insectes ravageurs dans le cadre de programmes axés sur la TIS. Les recherches récemment menées par l’AIEA et la FAO montrent que les irradiateurs à rayons X permettent eux aussi de réaliser cette opération. Les scientifiques du Lee County Mosquito Control District (LCMCD) en Floride (États-Unis) ont choisi d’utiliser les rayons X pour leur programme de destruction du moustique Aedes par la technique de l’insecte stérile mené en collaboration avec l’AIEA. « Dans notre région, les moustiques Aedes sont une espèce envahissante et de plus en plus résistante aux insecticides, ce qui rend les techniques classiques de lutte contre ce ravageur moins efficaces », déclare Rachel Morreale, Responsable du Département de sciences et technologies appliquées du LCMCD. « Le fait que notre programme de stérilisation utilise les rayons X, et non les rayons gamma, nous permet de proposer une perspective et une approche différentes. »

Le LCMCD a reçu le soutien de l’AIEA, qui l’a notamment aidé à calibrer son appareil à rayons X. « L’expérience que nous avons acquise et les améliorations que nous avons réalisées peuvent être d’une grande utilité pour d’autres pays », ajoute Rachel Morreale.

Des drones pour relâcher les ravageurs fragiles

Les moustiques sont fragiles. Aussi faut-il veiller, lors d’un programme TIS, à ne pas les endommager ou les tuer au moment de les relâcher dans l’environnement. Des chercheurs brésiliens et des experts de la Division mixte FAO/AIEA se sont aperçus que les drones pourraient être une solution. L’étude qu’ils ont menée en 2018 a montré que les drones avaient l’avantage de ne causer que des dommages minimes aux insectes et que cette méthode s’avérait plus rentable et plus rapide que d’autres, comme celle consistant à les lâcher depuis le sol.

« De l’avis de l’équipe brésilienne, les drones offrent une approche novatrice pour réduire les coûts de lâchers massifs », indique Maylen Gómez Pacheco, responsable des questions techniques et scientifiques chez Biofábrica Moscamed Brasil. « Nous pouvons, par le truchement de l’AIEA, partager les résultats de cette expérimentation et contribuer ainsi à la réalisation de tests pilotes dans d’autres contextes épidémiologiques et sociaux visant à lutter contre les moustiques grâce à la TIS, afin de soulager les souffrances de nombreuses populations de par le monde. »

 

11/2020
Vol. 61-4

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