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Des neutrons pour les neurones et des cyclotrons pour les radio-isotopes

Michael Madsen

Le glioblastome est une tumeur maligne agressive qui représente environ 15 % de toutes les tumeurs cérébrales. Même lorsqu’il est dans un premier temps contrôlé par le traitement, le cancer revient presque toujours. La chirurgie et la radiothérapie peuvent prolonger la survie de quelques mois, mais le cancer du cerveau met généralement fin à la vie dans un délai d’un à deux ans après le diagnostic, et moins de cinq pour cent des personnes atteintes survivent plus de cinq ans. Comme pour le glioblastome, de nombreux cancers crâniens sont difficiles à traiter en raison de la sensibilité des tissus cérébraux normaux à la chirurgie et à la radiothérapie, mais il y a un espoir que cela change bientôt, en partie grâce aux nouvelles thérapies rendues possibles par les accélérateurs produisant des sources intenses de neutrons.

« Si on vous parle d’effectuer des réactions nucléaires, vous n’imaginez probablement pas qu’une tête humaine soit le meilleur endroit pour le faire, mais vous auriez tort », a déclaré Ian Swainson, physicien nucléaire à l’AIEA. Il participe à l’élaboration des orientations de l’AIEA sur les applications des accélérateurs pour la production de neutrons, notamment dans le domaine médical. Il estime que l’utilisation de cette technologie dans le cadre d’un traitement du cancer en particulier, la thérapie par capture de neutrons par le bore (BNCT), est très prometteuse : « Tirer des neutrons sur des atomes de bore dans certains cancers du cerveau, de la tête et du cou peut permettre de sauver des vies ».

Tirer des neutrons sur des atomes de bore dans certains cancers du cerveau, de la tête et du cou peut permettre de sauver des vies. »
Ian Swainson, physicien nucléaire, AIEA

La BNCT utilise le pouvoir destructeur des neutrons et s’appuie sur le fait de localiser, autant que faire se peut, les dommages à la tumeur. L’exploitation de la capacité destructrice des neutrons est possible grâce aux isotopes 10 du bore. « Le bore 10 est non radioactif et excellent pour capturer les neutrons. En conséquence, dans le cadre d’une réaction nucléaire très localisée, le bore se brise en deux fragments énergétiques. Ainsi, en injectant à un patient des médicaments spéciaux qui délivrent du bore 10 sur les sites des tumeurs, nous visons le cancer en plein dans le mille », a expliqué Ian Swainson.

Technique encore essentiellement expérimentale, la BNCT n’est pas largement disponible, mais cela est en train de changer. En 2020, deux installations de BNCT ont commencé à administrer des traitements cliniques à Koriyama et à Osaka au Japon. La même année, l’AIEA et l’université japonaise d’Okayama ont décidé de renforcer leur coopération en matière de BNCT dans le cadre d’événements, d’échanges de connaissances et d’informations et de l’élaboration d’une base de données sur les installations de BNCT.

« La BNCT est une thérapie anticancéreuse de pointe », avait déclaré à l’époque Hirofumi Makino, président de l’Université d’Okayama. « C’est un mariage heureux entre la physique nucléaire moderne et la biologie cellulaire pharmaceutique contemporaine. Cependant, nous ne devons pas oublier que le développement de cette technologie médicale complexe a été une longue lutte. »

En 2001, l’AIEA a produit un rapport technique sur la BNCT, qui est devenu un ouvrage de référence dans ce domaine. À l’époque, les seules sources de neutrons concernées étaient les réacteurs de recherche. Depuis, une nouvelle génération de sources de neutrons compactes basées sur des accélérateurs et pouvant être installées directement dans les cliniques a été mise au point. Cela a conduit à un important regain d’intérêt pour la BNCT.

Des projets axés sur la BNCT sont également en cours en Argentine, en Chine, en Finlande et en République de Corée. « Il y a 20 ans, l’utilisation des neutrons des accélérateurs pour traiter le cancer n’était qu’une théorie. Maintenant c’est une réalité et nous traiterons de cette évolution dans un prochain document technique intitulé Advances in Boron Neutron Capture Therapy », a déclaré Ian Swainson.

Une révolution nommée cyclotron

Pour déterminer la faisabilité de la BNCT chez un patient, il faut lui injecter un composé du bore radiomarqué au fluor 18 (18F), produit par des cyclotrons, puis soumettre le patient à l’imagerie à l’aide d’une technique de médecine nucléaire appelée tomographie à émission de positons-tomodensitométrie (PET-CT). Le composé marqué au 18F est appelé 4-borono-2-18F-fluoro-phénylalanine, ou FBPA.

« Le FBPA est important car il permet aux médecins de confirmer qu’une tumeur a absorbé un composé contenant du bore et qu’elle est prête pour la BNCT. Sans lui, la thérapie peut ne pas fonctionner. À mesure que la BNCT devient plus largement disponible, nous aurons besoin de cyclotrons pour répondre à la demande en FBPA », a déclaré Amirreza Jalilian, chimiste spécialiste des radio-isotopes et des radiopharmaceutiques à l’AIEA. Un cyclotron est un type d’accélérateur de particules qui produit des radio-isotopes utilisés en médecine nucléaire en envoyant un faisceau de particules sur des isotopes stables. L’interaction entraîne une réaction nucléaire qui produit des radio-isotopes de courte période. Comme ces radio-isotopes se désintègrent rapidement, ils doivent être produits sur le site où a lieu le traitement ou à proximité et être utilisés immédiatement.

Amirreza Jalilian note que, bien que le nombre de réacteurs de recherche utilisés pour la production de radio-isotopes soit plutôt stable, de nouveaux cyclotrons polyvalents et de plus en plus abordables se multiplient dans le monde. De nombreux radio-isotopes de courte période utilisés chez les patients peuvent être produits par des cyclotrons dans les hôpitaux, ce qui constitue un avantage majeur pour cette technologie.

Le fluorodésoxyglucose, un radiopharmaceutique, n’en est qu’un exemple parmi d’autres. Il nécessite du 18F, qui peut être produit à l’aide de cyclotrons. Ce radiotraceur est utilisé dans environ 95 % des procédures de PET-CT et joue donc un rôle essentiel dans la neuro-imagerie et le diagnostic du cancer.

Un autre poids lourd parmi les radiopharmaceutiques est le gallium 68 (68Ga), composant clé de certains radiopharmaceutiques théranostiques - un type de pharmaceutique qui utilise des radio-isotopes à la fois pour le diagnostic et la thérapie par la libération de rayonnements. Ces radiopharmaceutiques jouent un rôle important dans le diagnostic et le suivi des cancers, et s’avèrent particulièrement prometteurs dans le traitement du cancer de la prostate. La production de 68Ga présente toutefois des difficultés.

« Aujourd’hui, la méthode la plus courante pour produire du 68Ga est un système sans accélérateur appelé générateur, mais les générateurs ne peuvent tout simplement pas produire suffisamment pour répondre à la demande. Les cyclotrons offrent un moyen alternatif efficace de production directe et augmentent déjà considérablement la disponibilité du 68Ga », a déclaré Amirreza Jalilian, expliquant que dix centres dans le monde utilisent désormais régulièrement des cyclotrons pour produire du 68Ga. L’AIEA coordonne actuellement un projet de recherche visant à soutenir le partage de compétences spécialisées à l’échelle internationale en matière de production de 68Ga par cyclotron, et a publié en 2019 une publication consacrée à ce sujet intitulée Gallium-68 Cyclotron Production.

 

05/2022
Vol. 63-2

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