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Danger en mer : ce que les atomes des palourdes nous apprennent sur l’acidification des océans

Tiré du Bulletin de l’AIEA
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Pour les scientifiques du monde entier, les organismes marins comme les palourdes, les coraux et les petits escargots de mer sont des révélateurs des incidences que peuvent avoir les émissions de CO2 sur les océans.

(Photo : M. Belivermiş/Laboratoire de radioécologie de l’Université d’Istanbul)

Les palourdes et autres mollusques sont menacés. À mesure que les océans s’acidifient sous l’effet de la hausse des émissions de dioxyde de carbone (CO2), il deviendra de plus en plus difficile pour certains de ces organismes marins de constituer leur coquille ou leur squelette. C’est une mauvaise nouvelle, pour les organismes eux-mêmes bien sûr, mais aussi pour les personnes qui en sont tributaires.

La bonne nouvelle ? Grâce aux techniques isotopiques, les scientifiques peuvent retracer l’évolution des atomes dont sont constitués ces animaux marins qui fabriquent leur propre coquille, ce qui leur permet de mieux comprendre l’impact de l’acidification des océans et des changements climatiques – premier pas vers une éventuelle solution au problème.

« À mesure que l’acidité des océans augmente, certains organismes absorbent et accumulent plus de radionucléides ou de métaux que d’autres, se développent plus lentement ou doivent s’alimenter davantage pour survivre. Il est possible de surveiller tous ces effets grâce aux techniques nucléaires », explique Murat Belivermiş, scientifique travaillant au Laboratoire de radioécologie de l’Université d’Istanbul, qui s’appuie sur les techniques isotopiques pour étudier les effets des changements climatiques et de l’acidification des océans sur les produits de la mer importants d’un point de vue socio-économique. M. Belivermiş a appris à utiliser les techniques nucléaires et isotopiques dans le cadre d’un programme de bourses auquel il a pris part en 2013, dans les Laboratoires de l’environnement de l’AIEA à Monaco.

Pour les scientifiques du monde entier, les organismes marins comme les palourdes, les coraux et les petits escargots de mer sont des révélateurs des incidences des changements climatiques sur les océans. Les émissions croissantes de CO2 — véritable force motrice des changements climatiques — sont également responsables de l’accélération de l’acidification des océans. Il faut savoir en effet que les océans absorbent environ le quart du CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère, ce qui influe sur la chimie de l’eau de mer et, par ricochet, sur certains écosystèmes et organismes marins.

Les techniques nucléaires et isotopiques sont des outils très efficaces grâce auxquels les scientifiques peuvent étudier l’acidification des océans, phénomène que l’on désigne parfois comme « l’autre problème du CO2 ». Des isotopes radioactifs, tels que le calcium 45, peuvent être utilisés comme traceurs pour mesurer avec précision les taux de croissance d’organismes calcifiants (voir l’encadré « En savoir plus »). Il peut s’agir de moules et de palourdes, qui fabriquent leur coquille à partir de carbonate de calcium, minéral présent à l’état naturel dans les océans. Avec l’acidification des océans, il devient de plus en plus difficile pour ces organismes marins de trouver la matière dont ils ont besoin pour former et maintenir en état leur coquille à base de carbonate de calcium.

À l’aide de radiotraceurs, M. Belivermiş et ses collègues ont découvert que, lorsqu’elles étaient exposées à une eau de mer légèrement acidifiée, les palourdes absorbaient deux fois plus de cobalt que dans des conditions de contrôle équilibrées, alors que d’autres organismes marins, tels que les huîtres, font preuve d’une plus grande résilience. Ces résultats montrent que l’acidification des océans présente un risque non seulement pour les palourdes, mais aussi pour les consommateurs ; le cobalt est un métal lourd dont l’organisme humain a besoin en quantités infimes, mais qui se révèle toxique à des concentrations élevées. Ce phénomène peut avoir des répercussions socio-économiques encore plus larges sur les populations côtières comme celles de la Turquie, qui sont tributaires des produits de la mer à la fois comme source d’alimentation et comme denrée d’exportation vers les pays européens.

« Certaines espèces, comme les palourdes, sont très importantes pour le secteur de la pêche, y compris pour de nombreux aquaculteurs en Turquie. Ce type de recherche pourrait donc aider les aquaculteurs à s’adapter aux changements climatiques, ce qui contribuerait au bout du compte à protéger l’économie nationale de la pêche », soutient M. Belivermiş.

M. Belivermiş et son collègue, Önder Kılıç, cherchent maintenant à étendre leur collaboration avec l’AIEA pour étudier les effets à long terme de l’acidification des océans sur la croissance, la valeur nutritionnelle et la santé des espèces utilisées comme produits de la mer en Turquie, comme la moule méditerranéenne ou le mulet.

« Les moules peuvent vivre jusqu’à deux ans », indique M. Belivermiş. « Pour que nous puissions étudier le cycle de vie complet d’un organisme et bien comprendre comment il s’acclimate à une eau acidifiée, nous devons réaliser des expériences sur une période beaucoup plus longue. »

À mesure que l’acidité des océans augmente, certains organismes absorbent et accumulent plus de radionucléides ou de métaux que d’autres, se développent plus lentement ou doivent s’alimenter davantage pour survivre. Il est possible de surveiller tous ces effets grâce aux techniques nucléaires.
Murat Belivermiş, scientifique du Laboratoire de radioécologie de l’Université d’Istanbul (Turquie)

La variation des niveaux de pH entraîne non pas la destruction, mais le blanchiment des coquilles d’huîtres : un pH de 8,1 correspond aux conditions ambiantes ; un pH de 7,8 équivaut au taux attendu en 2100 ; et un pH de 7,5 correspond au taux attendu en 2300.

(Photo : N. Sezer/Laboratoire de radioécologie de l’Université d’Istanbul)

Prendre la mesure des effets à long terme de l’acidification des océans

Il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les conséquences à long terme de l’acidification des océans dans le monde. Les recherches portant sur les organismes marins durent souvent de quelques semaines à quelques mois, mais seules des études multigénérationnelles permettront d’évaluer de manière plus réaliste les effets de la transformation des océans au fil du temps.

Un projet de recherche coordonnée de l’AIEA d’une durée de quatre ans, dont le lancement est prévu en 2019, rassemblera plusieurs scientifiques qui s’efforceront de mieux comprendre les effets à long terme de l’acidification des océans sur les organismes marins. Il aura pour objectifs de combler l’insuffisance de données sur les produits de la mer importants d’un point de vue socio-économique et d’étudier des stratégies d’adaptation possibles pour les secteurs de l’aquaculture et des produits de la mer.

Il donnera également aux scientifiques les moyens de mieux comprendre les conséquences à long terme de l’acidification des océans sur les éléments nutritifs essentiels contenus dans les produits de la mer, comme les acides gras insaturés qui sont bénéfiques pour notre système cardiovasculaire, et d’évaluer ainsi les éventuelles répercussions sur la santé humaine. Les scientifiques auront recours à la fois à des techniques traditionnelles et aux techniques nucléaires et isotopiques pour étudier les espèces qui procurent ces éléments nutritifs, parmi lesquelles les huîtres, les moules, les crevettes, les homards et les poissons.

« Les océans sont certes fragiles, mais ils se distinguent également par une assez forte résilience. Nous avons constaté qu’ils étaient capables de se régénérer dès lors qu’ils étaient bien gérés », affirme David Osborn, directeur des Laboratoires de l’environnement de l’AIEA. « Ce qui importe, c’est que nous reconnaissions les menaces que nous faisons peser sur les océans, leurs effets combinés, et que nous investissions les ressources nécessaires pour comprendre ces effets et pour agir en amont afin de les contrer de manière efficace. »

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