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Regard vers l’avenir de la sûreté nucléaire

Mike Weightman

Mike Weightman, consultant en sûreté nucléaire, a été inspecteur en chef des installations nucléaires et directeur exécutif du Bureau de la réglementation nucléaire du Royaume-Uni avant de prendre sa retraite en 2013. Membre du Groupe international pour la sûreté nucléaire (INSAG), il a dirigé la Mission internationale d’experts de l’AIEA chargés d’enquêter sur l’accident de Fukushima Daiichi au Japon en mai-juin 2011.

Cela fait dix ans que le grand séisme de l’est du Japon et le tsunami dévastateur qui a suivi ont provoqué l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi, exploitée par TEPCO. Divers rapports ont été publiés. Plusieurs conférences ont été organisées. Une série d’analyses détaillées et d’enquêtes techniques ont été réalisées. Avons-nous tiré assez d’enseignements de l’accident, et en avons-nous tenu suffisamment compte ? Quels messages les générations futures doivent-elles retenir ?

L’électronucléaire peut jouer un rôle majeur dans la résolution des problèmes mondiaux que pose l’accès à une énergie et à une eau propres, mais dans de nombreux pays, cette technologie est peu acceptée par le public. Pourquoi devrait-on croire en elle, se demandent certains, alors qu’elle peut causer des bouleversements majeurs et des dommages aux personnes quand les choses tournent mal ? La société évolue, et vite. La technologie améliore les conditions de vie. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de la sûreté nucléaire ? Que savons-nous ?

Principaux enseignements tirés de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi

Les enseignements tirés de l’accident sont énumérés dans plusieurs analyses, la mieux informée étant le rapport du Directeur général de l’AIEA intitulé L’accident de Fukushima Daiichi, publié en 2015. Ils relèvent essentiellement de deux catégories — selon qu’ils touchent à l’aspect technique ou humain/organisationnel — mais doivent être pris en compte dans leur globalité, ce qui est un enseignement majeur en soi.

Les enseignements techniques sont notamment qu’il importe :

C’est principalement sur les plans humain et organisationnel que le programme actuel d’exploitation et de développement nucléaires peut être amélioré encore en matière de sûreté nucléaire.
Mike Weightman, consultant en sûreté nucléaire
  • de faire preuve de cohérence dans la définition des bases de conception concernant les risques externes et de prudence face à l’incertitude ;
  • de tenir compte de scénarios impliquant des risques connexes et plusieurs centrales dans les analyses et les dispositions en matière de sûreté ;
  • de mettre en place des dispositifs solides garantissant le maintien des fonctions de sûreté fondamentales (confinement, contrôle et refroidissement), y compris en cas d’accident grave ;
  • de mettre en place des dispositifs solides permettant de surveiller les paramètres de sûreté du réacteur et du combustible usé en cas d’accident grave ;
  • de veiller à ce que les centres de crise et de contrôle d’urgence hors site puissent fonctionner efficacement dans des situations graves ; et
  • de tenir compte de l’ensemble des risques lors de la prise de décisions en cas de situation d’urgence hors site.

Certes, les prescriptions des normes de sûreté de l’AIEA existantes couvrent tous ces points, mais ce qui importe, c’est de s’assurer qu’elles soient comprises, suivies et appliquées. Pour cela, il faut prêter attention aux facteurs humains et organisationnels de la sûreté, qui sont à l’origine de certains grands problèmes. Les principaux enseignements tirés dans ce domaine sont notamment qu’il convient :

  • de se prémunir contre l’autosatisfaction et la pensée de groupe ;
  • d’adopter une philosophie d’amélioration continue ;
  • d’assurer l’indépendance effective des organismes de réglementation nucléaire ;
  • d’appliquer une approche systémique de la détermination et de l’amélioration des arrangements institutionnels de sûreté nucléaire ; et
  • d’adhérer aux normes de sûreté de l’AIEA et aux autres orientations, notamment celles contenues dans les rapports no 4 et 27 du Groupe international pour la sûreté nucléaire (INSAG).

La mise en œuvre de ces enseignements a été motivée par les organismes de réglementation, les institutions internationales, le public, les pays dotés de centrales nucléaires, les autres parties prenantes et, surtout, le secteur nucléaire lui-même. Elle a été l’objet de nombreux documents, notamment la publication intitulée Implementation and Effectiveness of Actions Taken at Nuclear Power Plants following the Fukushima Daiichi Accident (IAEA TECDOC-1930), des rapports de l’Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO) et de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE/AEN), des publications nationales et réglementaires et des documents de travail. Les enseignements tirés donnent une vue d’ensemble des nombreux domaines dans lesquels, sur la base d’une culture d’amélioration continue, des changements ont été apportés.

Regard vers l’avenir

Compte tenu de ce qui a été accompli jusqu’ici, il est peu probable que de nouveaux enseignements majeurs propices à l’amélioration de la sûreté nucléaire soient tirés du déclassement en cours de la centrale de Fukushima Daiichi ou des travaux connexes effectués ailleurs. Bien sûr, des recherches supplémentaires seront menées au fur et à mesure que l’intérieur des réacteurs touchés sera examiné et que les matières seront récupérées et déclassées, ce qui favorisera le renforcement de la confiance dans les techniques d’analyse et de modélisation des accidents graves et l’amélioration de ces techniques. Une prise en considération plus générale de tous les risques, y compris ceux liés aux situations de faible exposition aux rayonnements, aidera à déterminer les dispositions d’urgence à prendre pour réduire au minimum les dommages sanitaires et sociétaux.

L’attention croissante portée aux modèles de réacteurs avancés offre l’occasion de promouvoir de nouveau une approche plus fondamentale de la sûreté nucléaire fondée sur un concept de sûreté passive et une dépendance moindre à des systèmes de protection complexes multiples. En outre, les travaux de recherche en cours sur les combustibles à l’épreuve des accidents pourraient nous faire faire un grand pas en avant tout en renforçant la sûreté des réacteurs nucléaires actuels.

Cela étant, c’est principalement sur les plans humain et organisationnel que le programme actuel d’exploitation et de développement nucléaires peut être amélioré encore en matière de sûreté nucléaire. En particulier, nous devons concevoir une approche plus intégrée et systémique de l’établissement et de l’amélioration des organismes de sûreté nucléaire pour permettre aux générations futures d’utiliser l’électronucléaire, qui est sûr et économique, pour résoudre les problèmes environnementaux mondiaux. Pour ce faire, nous devons garantir et prouver que les leçons durement apprises ne tomberont pas dans l’oubli et, à force d’humilité et de réceptivité, gagner la confiance d’une société en évolution. C’est là notre devoir.

03/2021
Vol. 62-1

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