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La valeur nutritionnelle des protéines — ce que révèle une nouvelle technique nucléaire

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Une nouvelle technique nucléaire faisant appel aux isotopes stables permet d’évaluer la digestibilité des protéines provenant de différentes sources, notamment les légumineuses, les œufs et le lait. (Photo : D. Caballero)

Selon Victor Owino, spécialiste en nutrition à l’AIEA, « Toutes les protéines ne se valent pas ». Cela est particulièrement vrai pour les personnes dont le régime alimentaire est principalement à base de plantes, ainsi que pour des groupes démographiques spécifiques, tels que les nourrissons, les jeunes enfants et les personnes âgées. « Par exemple, l’apport approprié en protéines de qualité au cours des premières années de la vie a un impact non seulement sur la croissance et le développement psychomoteur, mais aussi sur le risque d’obésité et de maladies plus tard dans la vie », déclare M. Owino.

Les protéines sont des combinaisons de 20 acides aminés, dont 11 peuvent être produits par l’organisme lui-même. Les neuf autres, souvent appelés acides aminés indispensables ou acides aminés essentiels, doivent être obtenus à partir d’aliments riches en protéines, tels que les viandes, les légumineuses, les céréales, les noix et les produits laitiers. En ce qui concerne la qualité des protéines — définie par la quantité d’acides aminés essentiels contenue dans la protéine et la capacité de l’organisme à les absorber et à les utiliser — la question est de savoir quelle source ou combinaison de sources est la meilleure.

Les méthodes standards  permettant d’évaluer l’absorption des acides aminés sont invasives ou sujettes à des interférences dues à la synthèse des protéines par les bactéries présentes dans le tube digestif. Une nouvelle technique isotopique, celle du double marquage aux isotopes stables, permet d’obtenir une mesure plus précise, et elle a déjà donné des résultats qui contribuent à orienter les discussions sur les recommandations à formuler en matière de nutrition.

Utilisation d’isotopes stables pour déterminer la qualité d’un régime alimentaire

La qualité du régime alimentaire, c’est-à-dire la capacité de l’alimentation à fournir immédiatement des nutriments biodisponibles en quantité suffisante pour assurer le fonctionnement des organes, est un facteur déterminant de l’état nutritionnel. L’AIEA a mis au point un ensemble de techniques isotopiques et nucléaires pour évaluer de multiples aspects de la nutrition, notamment les modes d’allaitement, la composition corporelle, la digestion des nutriments, la biodisponibilité ainsi que la qualité du régime alimentaire. Les données recueillies grâce à ces techniques peuvent servir à mettre en place des interventions nutritionnelles destinées à améliorer la nutrition et la santé des enfants, à mieux définir les politiques en la matière et à renforcer la capacité des pays à atteindre leurs objectifs de développement.

« Nous devons disposer d’outils fiables et précis qui puissent générer la base de données dont nous avons besoin pour agir efficacement et parvenir à comprendre le lien complexe qui existe entre les infections, l’évolution des systèmes alimentaires et les effets de la nutrition sur la santé », affirme M. Owino. « Les techniques faisant appel aux isotopes stables sont utiles pour évaluer de manière fiable et non invasive la qualité d’un régime alimentaire et pour déterminer les indicateurs nutritionnels correspondants qui vont dans le sens des Objectifs de développement durable et de l’Agenda 2063. » L’Agenda 2063 est le cadre stratégique dont s’est dotée l’Union africaine pour tendre à un développement durable qui ne laisse personne de côté.

Bien que les techniques faisant appel aux isotopes stables soient utilisées dans de nombreux pays, il est difficile d’en faire bénéficier l’ensemble de l’Afrique en raison de leurs coûts élevés et du manque de personnel qualifié. « Le recours à une technologie comme celle des isotopes stables mise au point par l’AIEA est une initiative pionnière et il faudrait que son usage se répande partout en Afrique », précise M. Lokosang. « Ce genre de technologie donne des résultats immédiats, et les informations ainsi obtenues sont précieuses non seulement pour les décideurs mais aussi pour les personnes testées, qui peuvent recevoir sur le champ des conseils concernant leurs habitudes alimentaires et leur consommation. »

Utilisation de la technique du double marquage aux isotopes stables

(Photos : W. Kriengsinyos/Mahidol University ; Infographie : A. Vargas/AIEA)

La nouvelle technique du double marquage aux isotopes stables permet d’évaluer la digestion des protéines de manière peu invasive par des analyses de sang et de l’haleine. Dans la première phase de la technique, les acides aminés des aliments testés sont marqués à l’aide d’un isotope stable deutérium, une forme d’hydrogène. Le deutérium, qui est sans danger, est d’abord ajouté à l’eau d’abreuvement des animaux pour l’étude des sources de protéines animales et à l’eau d’irrigation pour les sources végétales. Ensuite, une fois que le lait ou les légumineuses, par exemple, sont prêts à être consommés, les aliments marqués au deutérium sont consommés avec une source de protéines de référence marquée au carbone 13, un isotope stable du carbone.

Des échantillons de sang et d’haleine sont prélevés avant et plusieurs fois après la consommation du repas pour l’analyse de la concentration en acides aminés. « La digestibilité est déterminée par le rapport entre les acides aminés marqués dans le sang et ceux du repas testé. La présence de carbone 13 dans les échantillons d’haleine constitue un deuxième indicateur de la digestion des protéines », explique M. Owino.

La technique isotopique produit des données alignées sur le Digestible Indispensable Amino Acid Score (DIAAS), recommandé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « Cette technique offre un protocole humain relativement moins invasif pour mesurer la digestibilité des protéines conformément à tous les critères requis pour l’indice de qualité des protéines du DIAAS », déclare Sarita Devi, maître de conférences au St. John’s Research Institute. « Elle permet de mesurer la digestibilité de plusieurs acides aminés à la fois. De plus, elle n’est pas affectée par les protéines endogènes présentes dans les sécrétions intestinales qui peuvent perturber la mesure de la digestion des protéines alimentaires exogènes. »

Cette technique a été mise au point dans le cadre d’un projet de recherche coordonné (PRC) de l’AIEA en 2015 et appliquée dans sept pays : le Brésil, l’Inde, la Jamaïque, le Maroc, le Mexique, le Pakistan et la Thaïlande, avec l’appui technique de la France et du Royaume-Uni. Au mois de décembre 2021, des experts se sont réunis en ligne pour étudier les résultats du PRC, dont ceux issus de l’utilisation de la technique du traceur isotopique.

« Le PRC a permis de mettre au point et valider une nouvelle technique peu invasive pour déterminer la digestibilité et l’utilisation des protéines des régimes alimentaires à base de plantes, tels qu’ils sont consommés par les populations vulnérables, dans les régions où les régimes alimentaires sont fréquemment à base de plantes », déclare Maria Xipsiti, nutritionniste à la FAO. « Les nouvelles données sur la réelle digestibilité des protéines provenant des légumineuses qui ont été générées par le PRC contribueront à la création d’une solide base de données sur la digestibilité des protéines qui sera gérée conjointement par la FAO et l’AIEA. »

Les résultats obtenus grâce à cette technique seront présentés lors du Colloque international sur les protéines et la santé humaine, qui se tiendra en 2023 à Amsterdam (Pays-Bas). « En plus d’une quantité de protéines totales, l’être humain a quotidiennement besoin d’une quantité de protéines absorbées avec un équilibre optimal des acides aminés », selon Paul Moughan, professeur émérite à l’Université Massey, en Nouvelle-Zélande. Moughan, qui est également lauréat de la bourse du Riddet Institute New Zealand Centre of Research Excellence, a fait un exposé lors de la réunion qui s’est tenue en décembre 2021, et il préside le comité d’organisation du colloque susmentionné, auquel l’AIEA participe également. « La qualité des protéines est d’une importance capitale, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire où les protéines et les acides aminés sont souvent insuffisants dans les régimes alimentaires, mais aussi dans les pays plus riches, pour des groupes spécifiques de population, comme les personnes âgées ou celles qui cherchent à gérer leur prise de poids. »

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