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L’intelligence artificielle et l’imagerie médicale à l’assaut des zoonoses

Georg Langs

(Photo : freepik.com)

L’apprentissage automatique, composante croissante de l’intelligence artificielle, permet d’utiliser des ordinateurs pour effectuer des tâches complexes, non pas au moyen de solutions programmées mais de modèles capables d’apprendre à partir d’exemples. Des avancées considérables ont été réalisées dans ce domaine ces dernières années. Les modèles d’apprentissage automatique peuvent maintenant reconnaître des personnes et des objets sur des images, comprendre, traduire et générer du contenu dans une langue parlée et repérer les liens complexes entre des données biologiques. À mesure qu’ils se sont perfectionnés, ils se sont installés dans notre quotidien.

Dans le domaine des soins de santé, les modèles d’apprentissage automatique jouent un rôle de plus en plus important en médecine de précision, éclairant la prise des décisions relatives au traitement sur la base de données d’imagerie médicale [tomodensitométrie (CT), imagerie par résonance magnétique (IRM), tomographie à émission de positons (PET) et radiographie X, p. ex.], de données génomiques et d’autres variables cliniques. En reconnaissant des constantes subtiles, des signes caractéristiques de la progression d’une maladie et des indications de la réponse à un traitement, ils peuvent prédire les risques et l’évolution d’une maladie chez un patient. Dans le domaine de la médecine, ils permettent de nouvelles mesures, des observations quantitatives et une meilleure connaissance de la maladie.

En pneumologie, les modèles d’apprentissage automatique ont mis au jour de nouveaux profils dynamiques liés à la progression des maladies et à la réponse au traitement. Ils peuvent mesurer les modifications subtiles du tissu pulmonaire et de ses caractéristiques d’imagerie et les transposer sous la forme de signatures pathologiques. Celles-ci mettent en rapport différents profils d’imagerie observés chez divers patients. Leur évolution progressive nous aide à mieux comprendre la maladie et à prédire plus précisément le risque pour chaque patient. De plus, les modèles d’apprentissage automatique tiennent compte de données d’imagerie supplémentaires, notamment des comorbidités, pour établir de meilleures prédictions pour chaque patient.

L’apprentissage automatique est aujourd’hui utilisé comme outil de recherche et de découverte en médecine car il met en évidence des caractéristiques éparses. Toutefois, si nous comprenons les prédictions, nous commençons à peine à nous inspirer de modèles pour établir des représentations mécanistes des processus biologiques qui sous-tendent la maladie et la réponse au traitement. Des progrès majeurs devraient être réalisés à cet égard au cours des prochaines années.

Le rôle de l’imagerie médicale et de l’apprentissage automatique

L’imagerie médicale utilisée en combinaison avec l’apprentissage automatique offre une image détaillée de la variabilité phénotypique des patients et de la trajectoire de la maladie. Elle complète les autres données d’observation, comme la caractérisation des virus, les profils génomiques et épigénomiques, les données protéomiques et les constatations des laboratoires, mettant en lumière des processus systémiques. D’énormes quantités de données sont générées lors des examens de routine. À mesure que nos capacités d’utiliser ces données augmentent, les modèles de calcul nous offrent des informations détaillées sur la variabilité de la maladie, les nouveaux phénotypes pertinents sur le plan clinique et la relation entre le patient, la maladie et le traitement.

Pendant la pandémie de COVID-19, quelques semaines à peine après que l’agent pathogène responsable de la maladie a été décrit, les résultats de radiographies thoraciques et de tomodensitométries ont été publiés et reconnus comme caractéristiques de la COVID­19, contrairement aux symptômes cliniques respiratoires relativement peu spécifiques. Les images présentaient des configurations inédites et, au début de la pandémie, la tomodensitométrie s’est imposée comme outil de diagnostic. À mesure que les tests sont devenus disponibles, son rôle est passé de l’aide au diagnostic à la fourniture d’informations à l’appui du traitement et de la prise en charge des patients.

Cela montre clairement comment l’intelligence artificielle pourrait contribuer à la prise en charge des futures zoonoses évoluant en pandémie : en appuyant la détection rapide du phénotype d’une nouvelle maladie dans la population clinique et en guidant rapidement et efficacement le traitement des patients.

Potentiel et objectifs de l’intelligence artificielle : et s’il n’y avait pas d’exemples ?

La difficulté avec les pandémies de zoonoses c’est que, à première vue, le paradigme de l’apprentissage à partir d’exemples semble s’effondrer. Nous ne disposons pas d’années de données d’observation pour entraîner la machine et nous ne savons pas quoi chercher lorsque nous tentons de détecter une nouvelle maladie ou un nouveau variant. Le rôle de l’apprentissage automatique est donc avant tout de découvrir et d’identifier les relations dans une population de patients hétérogène.

Premièrement, la détection des anomalies (à partir des profils d’imagerie, de leur configuration ou de leur concomitance avec des résultats ne provenant pas de l’imagerie) par des modèles d’apprentissage automatique prend de la vitesse. Des dispositifs tels que les réseaux antagonistes génératifs peuvent apprendre comment les images varient au sein d’une population contrôlée afin de pouvoir repérer les nouveautés même s’il n’y a pas de données d’apprentissage étiquetées disponibles. Cette méthode sert actuellement à élargir notre gamme de marqueurs, mais elle pourrait aussi permettre d’identifier de nouveaux phénotypes émergents.

Deuxièmement, les modèles d’apprentissage automatique pourraient permettre de mieux comprendre la relation entre les caractéristiques observées chez un patient, l’évolution de la maladie, le traitement nécessaire et la réponse à ce traitement sur la base des premiers cas dans une population type, avant que des pratiques de référence ne soient établies. Cela pourrait faciliter la sélection d’un traitement efficace et guider l’élaboration d’orientations au début d’une pandémie.

Enseignements tirés et voie à suivre

Pour pouvoir utiliser efficacement l’intelligence artificielle et l’imagerie contre les futures zoonoses, nous devons surmonter plusieurs obstacles. Pendant la pandémie de la COVID-19, les entraves à l’échange rapide de données cliniques (et de données d’imagerie) et à la diffusion de ces données aux chercheurs ont nui à l’efficacité et à la solidité des modèles d’apprentissage automatique mis au point. Nous devons rassembler et organiser de telles données de manière rapide et transparente, à l’échelle mondiale, en vue de les mettre à disposition des chercheurs. La mise en commun de données et de références favorise un développement rapide et de qualité.

En ce qui concerne la recherche méthodologique, nous devons améliorer notre capacité de gérer les biais et les facteurs de confusion dans les données, qui découlent de l’hétérogénéité et de la diversité du monde. Les modèles d’apprentissage automatique ne doivent pas seulement reproduire les résultats mais faire la distinction entre les relations biologiques et les décisions de traitement lacunaires et potentiellement biaisées. Nous devons veiller à ce que les modèles soient entraînés à partir d’ensembles de données inclusifs qui profitent à la majorité de la population et tiennent compte de toutes les communautés, régions et groupes de personnes.

Enfin, nous devons prendre contact avec les spécialistes de l’apprentissage automatique pour soutenir les esprits créatifs partout dans le monde et les encourager à relever le défi qui se pose à nous : transformer les données d’observation en outils qui nous aident à détecter les zoonoses émergentes plus rapidement et à mieux lutter contre les plus répandues. Ces spécialistes peuvent aider à déterminer le traitement le plus efficace et le plus précis pour chaque patient et mettre au point des techniques permettant d’accélérer le développement de traitements nouveaux et innovants.

Georg Langs dirige le Laboratoire de recherche en imagerie computationnelle du Département d’imagerie biomédicale et de thérapie guidée par l’image à l’Université de médecine de Vienne. Professeur et chercheur dans le domaine de l’intelligence artificielle et de ses applications en médecine, il est membre du Medical Vision Group du Laboratoire de recherche en informatique et intelligence artificielle de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT).

 

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