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Le potentiel à long terme du thorium pour la production d’énergie nucléaire

Artem Vlasov

Vue plongeante sur un réacteur nucléaire expérimental alimenté au thorium dans les années 1960. (Photo : Laboratoire national d’Oak Ridge, Département de l’énergie des États-Unis d’Amérique)

Les sables de l’Inde regorgent de ressources qui pourraient assurer au pays un avenir sans carbone. L’Inde abrite les plus grandes réserves de thorium au monde. Sa stratégie électronucléaire à long terme vise l’exploitation de ce métal argenté, peu radioactif, considéré comme plus propre et plus efficace que les combustibles nucléaires conventionnels.

« Depuis le début du programme électronucléaire de l’Inde, la recherche‑développement s’est principalement portée sur le thorium », déclare Anil Kakodkar, chancelier de l’Institut national Homi Bhabha de Mumbai (Inde). L’Inde a conçu et développe un réacteur alimenté au thorium – le réacteur avancé à eau lourde – qui, selon M. Kakodkar, servira non seulement de dispositif de démonstration pour le cycle du combustible au thorium, mais aussi pour le dispositif de sûreté passive.

Because of its abundance and its fissile material breeding capability, thorium could potentially offer a long-term solution to humanity’s energy needs.
Kailash Agarwal, Fuel Cycle Facilities Specialist, IAEA

L’Inde n’est pas la seule à vouloir profiter des propriétés uniques du thorium. En juin 2023, la Chine a délivré un permis d’exploitation pour un réacteur nucléaire expérimental au thorium à sels fondus. Construit au milieu du désert de Gobi, dans le nord du pays, le réacteur sera soumis à des essais dans les prochaines années. La recherche sur les éventuelles utilisations du thorium dans l’électronucléaire a également suscité un intérêt aux États‑Unis d’Amérique, au Japon, au Royaume‑Uni et dans d’autres pays.

Défis à relever pour produire de l’énergie à partir du thorium

Le thorium, que l’on trouve généralement dans les roches ignées et les sables à métaux lourds, tire son nom de « Thor », dieu du tonnerre dans la mythologie nordique. Bien que trois fois plus abondant dans la nature que l’uranium, le thorium est peu utilisé dans l’industrie ou la production d’électricité, notamment parce qu’il n’est pas lui-même un combustible nucléaire, mais un élément permettant de créer un tel combustible. Le thorium 232, unique isotope naturel du thorium, est considéré comme « fertile » pour la fission, c’est‑à‑dire qu’il a besoin d’un catalyseur, comme l’uranium ou le plutonium, pour déclencher et maintenir une réaction en chaîne. Lorsqu’il est irradié, le thorium 232 est soumis à plusieurs réactions nucléaires et finit par produire de l’uranium 233, qui peut libérer de l’énergie par réaction de fission pour alimenter un réacteur nucléaire.

L’utilisation du thorium pour la production énergétique n’est toutefois pas sans difficultés. Plusieurs obstacles économiques et techniques rendent difficile l’exploitation du thorium. Bien qu’abondant, le thorium présente actuellement un coût d’extraction élevé. « La monazite est l’une des principales sources de terres rares, mais également de thorium », explique Mark Mihalasky, spécialiste des ressources en uranium à l’AIEA. « Si l’on n’avait pas actuellement besoin de terres rares, la monazite ne serait pas exploitée pour sa seule teneur en thorium. Le thorium est un sous‑produit et son extraction est plus coûteuse que celle de l’uranium. Mais la donne pourrait changer si la demande en thorium et son utilisation dans l’électronucléaire venaient à augmenter. »

La recherche‑développement et les essais concernant les installations nucléaires alimentées au thorium sont tout aussi onéreux, tant en raison du manque d’expérience concernant cet élément que du fait que l’uranium a toujours prévalu dans la filière électronucléaire. « La manipulation du thorium après irradiation s’avère complexe, ce qui ajoute une autre difficulté », indique Anzhelika Khaperskaia, responsable technique chargée de l’ingénierie du combustible et des installations du cycle du combustible à l’AIEA. « Le combustible au thorium rend nécessaires des processus de fabrication de combustible à distance qui sont plus coûteux que ceux liés au combustible à l’uranium, en raison de la présence dans le thorium de produits de filiation qui sont de puissants émetteurs gamma. En outre, le retraitement du combustible au thorium usé est complexe. La dissolution du dioxyde de thorium et la manipulation des produits gazeux posent des difficultés et nécessitent des développements à l’échelle industrielle. Du fait de l’utilisation de fluorures pour la dissolution, le matériel de retraitement est également exposé à la corrosion. »

Un projet de recherche coordonnée de l’AIEA, d’une durée de quatre ans, s’est concentré sur les possibilités de produire de l’énergie nucléaire à partir du thorium en examinant les avantages et les défis liés à ce combustible et en analysant son utilisation dans différents types de réacteurs – des réacteurs refroidis par eau, les plus courants, aux réacteurs à sels fondus. Les résultats de ce projet ont été publiés récemment dans un rapport intitulé Near Term and Promising Long Term Options for the Deployment of Thorium Based Nuclear Energy (IAEA‑TECDOC‑2009).

Quels sont les avantages du thorium ?

Le thorium présente plusieurs avantages par rapport au combustible nucléaire classique, l’uranium 235. Il peut générer plus de matière fissile (uranium 233) qu’il n’en consomme pour alimenter les réacteurs nucléaires refroidis par eau ou à sels fondus et il génère moins d’actinides mineurs à longue période que les combustibles au plutonium. On estime que la couche supérieure de la croûte terrestre compte en moyenne 10,5 parties par million (ppm) de thorium contre environ 3 ppm d’uranium.

« Du fait de son abondance et de sa capacité à produire des matières fissiles, le thorium pourrait offrir une solution à long terme pour répondre aux besoins énergétiques de l’humanité », explique Kailash Agarwal, spécialiste des installations du cycle du combustible à l’AIEA et l’un des auteurs du rapport de l’AIEA.

Outre le fait que lorsqu’ils sont en service, les réacteurs alimentés au thorium – et l’énergie d’origine nucléaire en général – n’émettent pas de gaz à effet de serre, l’un des autres avantages que présentent ces réacteurs est qu’ils génèrent moins de déchets nucléaires à longue période que les réacteurs actuels alimentés à l’uranium.

 

09/2023
Vol. 64-3

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