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Grâce aux progrès de l’imagerie neutronique, des perspectives s’offrent aux réacteurs de recherche de faible puissance

Mary Albon

Le système d’imagerie neutronique de l’Université technique tchèque de Prague (CTU) a révélé un axis mundi (symbole du lien entre les mondes physique et spirituel) à l’intérieur d’une statue de Sherap Chamma, divinité tibétaine Bön. (Photos : L. Sklenka/CTU)

L’imagerie neutronique est une technique d’examen des structures internes non invasive qui nécessite de recourir à des réacteurs de recherche ou à des sources de neutrons fondées sur les accélérateurs. « C’est un outil extraordinaire, qui offre d’infinies possibilités en matière de recherche-développement scientifique et industrielle, ainsi que pour la criminalistique et l’étude des objets culturels », explique Molly-Kate Gavello, administratrice de projet adjointe à l’AIEA. L’imagerie neutronique peut être utilisée pour des essais sur les moteurs, les amortisseurs ou les pales de turbines, tout comme elle peut aider à voir comment l’eau circule dans une plante vivante ou même à examiner l’intérieur d’un crâne de dinosaure fossilisé rempli de roches ferreuses.

Même si l’imagerie neutronique est utilisée depuis les années 1950, les images en deux dimensions (2D) sur film sont restées la norme jusqu’aux années 1990. Avec l’avènement des technologies numériques, dont les caméras très complexes, l’imagerie neutronique se fonde désormais sur la tomodensitométrie (CT), qui utilise des centaines d’images prises sous différents angles pour créer une image en trois dimensions (3D) particulièrement détaillée.

Jusqu’à récemment encore, l’imagerie neutronique par CT, ou imagerie 3D, ne pouvait se faire avec des sources de neutrons à faible flux, telles que les réacteurs de recherche de faible puissance, et ce pour des raisons à la fois techniques et financières.

Des images de haute qualité exigeant peu d’énergie

Mais tout a changé en 2021, lorsque Jana Matoušková, doctorante à l’Université technique tchèque de Prague (CTU), et son directeur de thèse Lubomír Sklenka, ont prouvé qu’il était possible de réaliser une imagerie neutronique par CT à une puissance de réacteur de recherche de 500 watts (W).

Cette découverte révolutionnaire s’inscrivait dans la foulée de deux autres avancées. Tout d’abord l’apparition au cours de la dernière décennie d’appareils d’astrophotographie de haute qualité et peu coûteux. Puis, les chercheurs de la source expérimentale de neutrons Heinz Maier-Leibnitz (FRM II), à l’Université technique de Munich (Allemagne), qui avaient pris conscience du potentiel de ces nouveaux appareils, ont présenté en 2016 la première mini-installation de tomographie neutronique, adaptée aux réacteurs de faible puissance. L’équipe, dirigée par Burkhard Schillinger, a conçu et construit un système d’imagerie neutronique de haute qualité et peu coûteux, doté d’un boîtier de détecteur imprimé en 3D et d’une version simplifiée du logiciel de contrôle professionnel utilisé dans l’installation d’imagerie ANTARES (un système expérimental avancé de tomographie et de radiographie neutroniques) du réacteur de recherche FRM II. La qualité d’image des nouveaux détecteurs était comparable à celle du système de pointe habituellement utilisé dans l’installation ANTARES.

Mme Matoušková voulait tenter d’utiliser l’imagerie neutronique avec des sources de neutrons de faible puissance, telles que le réacteur d’entraînement VR-1 de 500 W de la CTU. À titre de comparaison, le réacteur FRM II de 20 MW est 40 000 fois plus puissant et produit donc 40 000 fois plus de neutrons que le réacteur de la CTU. La tâche n’était pas simple, car Mme Matoušková, contrainte par les restrictions liées à la COVID-19, ne pouvait pas accéder aux installations de la CTU pour y mener ses expériences.

M. Sklenka a donc contacté M. Schillinger pour qu’il l’aide à reproduire le système à faible coût que l’équipe du FRM II avait mis au point. Ce dernier a conseillé Mme Matoušková par visioconférence et lui a fourni des informations sur la conception du système, lui expliquant où elle pouvait se procurer les pièces nécessaires. Étape par étape, elle a construit un système d’imagerie neutronique chez elle, qu’elle a testé avec de la lumière visible.

Une fois les restrictions liées à la COVID-19 levées, Mme Matoušková a installé son système au réacteur de la CTU et a réussi à générer la première image neutronique numérique 2D de cette université, suivie d’une tomographie neutronique d’une durée d’exposition de 12 heures à 500 W – montrant qu’elle pouvait désormais obtenir des résultats en un jour avec nettement moins de puissance. La puissance des réacteurs de recherche utilisant cette technique va de quelques centaines de kilowatts à plusieurs dizaines de mégawatts.

Mme Matoušková perfectionne actuellement le système d’imagerie neutronique du CTU dans le cadre de son doctorat. Le système est principalement utilisé à des fins de formation, mais aussi pour la recherche, par exemple pour examiner des objets culturels en collaboration avec la Galerie nationale de Prague.

Partage des technologies et des connaissances

Les expériences menées au FRM II et à la CTU ont montré qu’une mini-installation pouvait être utilisée avec n’importe quelle source de neutrons, y compris les réacteurs de recherche de très faible puissance. M. Schillinger a expliqué que son équipe était disposée à fournir gratuitement les plans de conception et le logiciel et à apporter une aide à l’installation et à la configuration à tous les intéressés dans le monde.

Grâce à des pièces fabriquées à l’aide d’une imprimante 3D, à un logiciel adapté à un ordinateur portable et à la baisse du prix des appareils d’astrophotographie, l’ensemble peut être assemblé pour moins de 5 000 euros et peut être facilement transporté. En 2022, M. Schillinger et Aaron Craft, chercheur au Laboratoire national de l’Idaho (États-Unis d’Amérique), ont dirigé une mission d’experts de l’AIEA chargée d’installer un système d’imagerie neutronique numérique dans le réacteur de recherche RECH-1 de la Commission chilienne de l’énergie nucléaire. M. Schillinger a apporté les composants avec lui dans une valise et le système a été monté en deux jours.

« L’AIEA joue un rôle clé dans la mise à disposition de cette technologie pour les réacteurs de recherche de faible puissance », dit M. Schillinger. « Les nouveaux détecteurs sensibles ouvrent un tout nouveau champ d’application pour ces réacteurs, qui ne fournissent pas suffisamment de neutrons pour les expériences complexes de diffusion neutronique. L’imagerie neutronique les rend plus accessibles pour la formation, la recherche et la collaboration avec les musées. »

L’AIEA facilite la coopération technique avec les réacteurs de recherche, y compris par des missions d’experts et l’acquisition de matériel. Elle publie également des guides sur l’imagerie neutronique, propose des formations régionales et étoffe son offre de formation en ligne. En 2022, l’AIEA a également permis à Mme Matoušková de passer quatre mois au réacteur de recherche RA-6 en Argentine pour aider à installer et à tester un système d’imagerie neutronique à faible coût.

Un double système à neutrons et à rayons X similaire a été installé et mis en service à l’installation de neutronique de l’AIEA à Seibersdorf (Autriche), où il est utilisé pour la formation.

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Qu’est-ce que l’imagerie neutronique ?

L’imagerie neutronique est une méthode non invasive qui permet d’examiner les structures internes et la composition d’objets opaques. Elle repose sur des principes semblables à ceux de l’imagerie par rayons X. Cependant, contrairement aux rayons X, qui sont absorbés par les matériaux denses tels que les métaux, les faisceaux de neutrons pénètrent la plupart des métaux et des roches, et sont atténués par certains éléments légers comme le bore, le carbone, l’hydrogène et le lithium. Les neutrons peuvent également aider à visualiser les champs magnétiques ainsi que les tensions dans les matériaux technologiques et structurels.

 

12/2023
Vol. 64-4

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