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Déchets nucléaires : un atout et non un fardeau

Lucy Ashton

La centrale nucléaire de Beloyarsk (Fédération de Russie) abrite deux réacteurs à neutrons rapides. (Photo : Rosenergoatom)

Et si les déchets nucléaires de haute activité issus des centrales nucléaires pouvaient alimenter une économie circulaire dans le secteur de l’énergie ? Les réacteurs à neutrons rapides qui fonctionnent dans un cycle fermé de combustible permettraient d’atteindre cet objectif.

Les réacteurs à neutrons rapides, qui utilisent des neutrons non ralentis par un modérateur tel que l’eau pour maintenir la réaction de fission en chaîne, présentent des avantages par rapport aux réacteurs nucléaires à neutrons thermiques existants. Lorsqu’ils fonctionnent dans un cycle du combustible entièrement fermé, dans lequel le combustible nucléaire est recyclé et réutilisé, les réacteurs à neutrons rapides peuvent extraire 60 à 70 fois plus d’énergie que les réacteurs à neutrons thermiques à partir de la même quantité d’uranium naturel, ce qui réduit considérablement la quantité de déchets radioactifs de haute activité.

« Les pays cherchent de plus en plus à recycler des ressources telles que le combustible nucléaire usé pour alimenter leur économie en énergie propre. »
— Vladimir Kriventsev, Chef d’équipe chargé du développement technologique des réacteurs à neutrons rapides à l’AIEA

« Lorsque l’on utilise des réacteurs à neutrons rapides dans un cycle fermé du combustible nucléaire, il est possible de recycler plusieurs fois un kilogramme de déchets nucléaires jusqu’à ce que tout l’uranium soit utilisé et que les actinides – qui restent radioactifs pendant des milliers d’années – soient consumés. Il subsiste alors une trentaine de grammes de déchets qui resteront radioactifs pendant 200 à 300 ans », explique Mikhail Chudakov, Directeur général adjoint de l’AIEA chargé de l’énergie nucléaire.

Les réacteurs à neutrons rapides faisaient partie des premières technologies mises en place aux débuts de l’électronucléaire, lorsque les ressources en uranium étaient perçues comme rares. Cependant, à mesure que les problèmes techniques et ceux liés aux matières en freinaient le développement et que de nouveaux gisements d’uranium étaient découverts, les réacteurs à eau ordinaire ont fini par devenir la norme. Cela étant, plusieurs pays ont entrepris de faire progresser la technologie des réacteurs à neutrons rapides, notamment sous la forme de petits réacteurs modulaires (PRM) et de microréacteurs.

Cinq réacteurs à neutrons rapides sont actuellement en exploitation : deux réacteurs opérationnels (le BN‑600 et le BN‑800) et un réacteur d’essai (le BOR‑60) en Fédération de Russie, le surgénérateur à neutrons rapides d’essai en Inde et le réacteur à neutrons rapides expérimental en Chine. Des projets de réacteurs à neutrons rapides, dont des PRM et des microréacteurs, adaptés à divers objectifs et fonctions sont en cours aux États‑Unis d’Amérique, au Japon, au Royaume‑Uni, dans l’Union européenne ainsi que dans d’autres pays.

Certains pays considèrent que l’exploitation de réacteurs à neutrons rapides dans un cycle de combustible entièrement fermé est la voie à suivre pour assurer la viabilité à long terme de l’énergie d’origine nucléaire.

Le Complexe énergétique de démonstration pilote de la Russie, en cours de construction à Seversk, comprend un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb, le BREST‑OD‑300, une usine de fabrication et de refabrication de combustible et une usine de retraitement du combustible usé mixte à base de nitrure d’uranium et de plutonium. Un dépôt géologique profond sera également construit. L’importance de ce projet pilote réside non seulement dans le fait de faire la démonstration de la fabrication de nouveaux combustibles, de leur irradiation et de leur recyclage, mais aussi dans le fait de réaliser tout cela sur un seul et même site.

« Le fait que l’ensemble du processus du cycle fermé du combustible se déroule sur un seul site est avantageux pour la sûreté, la sécurité et les garanties nucléaires », note Amparo Gonzalez Espartero, responsable technique du cycle du combustible nucléaire à l’AIEA. « Cela devrait également être plus intéressant d’un point de vue économique, car les déchets et les matières nucléaires n’ont pas besoin d’être déplacés d’un endroit à un autre – comme c’est le cas actuellement dans certains pays –, ce qui réduit les problèmes de transport et de logistique au minimum », ajoute-t-il.

Pour l’exploitation d’un cycle fermé du combustible à quelque échelle que ce soit, il faut des réacteurs à neutrons rapides et des infrastructures de retraitement et de recyclage. Pour des questions économiques et liées aux garanties notamment, il est difficile d’installer des usines de retraitement dans chaque pays. Pour limiter les coûts, les installations de retraitement fournissent des services à d’autres pays, ou les pays partagent leurs installations.

La Russie projette aussi d’installer après 2035 un réacteur à neutrons rapides nouvelle génération de 1 200 MWe dans le cadre d’un système autonome comprenant également des réacteurs à eau ordinaire. Grâce au réacteur à neutrons rapides, le combustible usé issu des réacteurs à neutrons thermiques sera retraité et réutilisé, et l’empreinte finale des déchets sera jusqu’à dix fois inférieure à celle d’un cycle de combustible nucléaire ordinaire.

Des projets vont bon train dans d’autres pays. La Chine construit deux réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (CFR‑600) dans le comté de Xiapu, dans la province de Fujian. La première tranche est en cours de mise en service et devrait être raccordée au réseau en 2024. Aux États‑Unis, un projet de réacteur à neutrons rapides soutenu par Bill Gates, cofondateur de Microsoft, est en cours de développement. Bien que ce pays redouble d’efforts pour travailler sur des cycles fermés du combustible nucléaire et utiliser ses déchets nucléaires existants pour développer son propre approvisionnement en combustible, ce projet ne fonctionnera pas en cycle fermé du combustible. En Europe, le projet belge MYRRHA vise à construire un système hybride refroidi au plomb‑bismuth d’ici 2036 et à tester sa capacité à décomposer les actinides mineurs dans le cadre d’un futur cycle du combustible entièrement fermé.

« Les pays cherchent de plus en plus à recycler des ressources telles que le combustible nucléaire usé pour alimenter leur économie en énergie propre », indique Vladimir Kriventsev, chef d’équipe chargé du développement technologique des réacteurs à neutrons rapides à l’AIEA. « Le fait est que les innovations technologiques dans les domaines de la science des matériaux, de la physique des réacteurs et de l’ingénierie ont conduit à de meilleures conceptions, avec des caractéristiques de sûreté renforcées et des coûts de construction et d’exploitation réduits, ce qui améliore les aspects économiques de l’exploitation d’une centrale nucléaire alimentée par un réacteur à neutrons rapides. »

L’AIEA joue un rôle central dans le soutien à la mise au point et au déploiement des réacteurs à neutrons rapides en partageant des informations et des données d’expérience grâce à des projets de recherche coordonnée, de publications techniques, de groupes de travail techniques et des conférences. Le Projet international sur les réacteurs nucléaires et les cycles du combustible nucléaire innovants de l’AIEA contribue également à promouvoir des réacteurs à neutrons rapides et des cycles du combustible nucléaire connexes en aidant les pays à planifier et à collaborer.

09/2023
Vol. 64-3

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